Youth, un film où Prufrock, revisité par Graham Sage, aurait pu s’inviter…

Youth, le dernier film de Sorrentino est un film magnifique. On ne s’étonnera donc pas qu’il soit littéralement assassiné par la critique!

La démesure dans l’expression de la beauté ne fait pas bon ménage avec les critères d’appréciation officiels du cinéma. Comme en littérature, les bons sentiments ne sont jamais l’apanage d’une écriture valorisée par les quelques censeurs vivant de leurs plumes en forme de dictats.

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Car la beauté, c’est en premier lieu ce qui est reproché au film. L’arrogance, la prétention de la beauté. Les somptueux paysages alpins dérangeants. Un trop plein de nature, une abondance d’herbes fleuries dans les alpages, des chemins montants, des cimes d’où regarder d’autres sommets ou le monde d’en bas, et par le petit bout de la lorgnette, l’immensité du futur ou la proximité du passé. Ou l’inverse. Qu’importe ! Nous sommes dans la « Montagne magique« , celle de Thomas Mann, celle-là même censée régénérer les tuberculeux bien nés de la première moitié du XX° siècle, eux que rien ne pouvait guérir, en bas, dans la grisaille des plus belles villes d’une Europe sans cesse en train de panser ses blessures.

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photo empruntée ici

Dans ce site exceptionnel, se préparent en coulisses le ballet des soignants en blouses immaculées et le savant chassé-croisé des serviteurs zélés d’un hôtel de grand luxe. Tout est prêt pour la longue procession menant au rituel d’un baptême de jouvence. Les corps, tous les corps des acteurs en rémission que nous sommes, y compris nous, spectateurs, s’abandonnent au délice de l’eau purificatrice. Les deux personnages principaux sont ainsi deux Prufrock

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image empruntée à Julian Peters, ici

en quête de réponses à leur inquiétant questionnement sur le temps qui passe. Qui suis-je, moi que le corps trahit? Que transmettrai-je ? L’un (Michael Caine), a été chef d’orchestre et entend profiter d’une retraite méritée, l’autre, interprété par Harvey Keitel, est metteur en scène. Il profite de son séjour en ce lieu ressourçant pour terminer, avec une petite équipe de jeunes scénaristes, le projet de ce qui devrait être son dernier film, son testament cinématographique en quelque sorte. L’un, arrêté, donc. L’autre, en action. Qui a raison? Les deux sans doute…

Retiré du monde des salles de concerts, au point de refuser de diriger l’une de ses oeuvres, (musique David Lang) à l’invitation personnelle de la reine d’Angleterre, Michael Caine, dirige en secret la symphonie de la nature dans une scène pleine d’humour et de lumineuse beauté, où le chœur des clarines accrochées au cou des vaches tranquilles se mêle aux frottements d’ailes d’oiseaux délogés de leurs abris forestiers.

Harvey Keitel, lui, s’active et se ressource auprès de la jeune équipe qui l’accompagne. Ses souvenirs font de lui un « homme-à-femmes », selon sa propre expression. L’une d’elle le fascine encore. Elle doit jouer dans le film en train de se construire. C’est Jane Fonda. La voici, en chair, en os et en cheveux, arrivant pour annoncer qu’il n’en sera rien. Elle a choisi de tourner dans une série télévisée mieux rémunérée et surtout parce que les derniers films de Keitel « sont tout simplement de la merde ».

Et le monde continue de tourner autour de ces deux héros fatigués et complices. Longues discussions dans les sentiers bordés de fleurs dont on sentirait presque le parfum.

sentiersphoto empruntée ici

Le monde, cependant, tourne: Maradonna, difforme, sa pompe à oxygène à proximité, profitant de l’eau salvatrice, un jeune acteur, à l’oeil observateur, et ce petit garçon,  gaucher, apprenti violoniste que conseille un chef d’orchestre au sommet de son art, une miss univers, intelligente et sculpturale, ondine ensorcelante dans la piscine des rêves,

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la fille et assistante de Michael Caine, (Rachel Weisz), amoureuse blessée réapprenant la liberté d’aimer, un moine bouddhiste en quête de lévitation…et tous les autres, allant et venant…

Ce que transcrit le film de Sorrentino sur L’ordre du monde, le cosmos, la démesure et l’incompréhensible trajectoire des destinées humaines ne s’embourbe pas dans l’angoisse existentielle et confine plutôt à l’humour. Vanité des vanités! Paradoxes: voici un film sur la vieillesse dont le titre est jeunesse. Un film qui se termine en ouverture sur l’éternelle vigueur d’une oeuvre musicale. Un film qui livre un message qui n’en est peut-être pas un.  Parce que son contraire est vrai aussi. Un film qui fait rire, des larmes plein les yeux. Un film à voir et à revoir . Vivre ou ne pas vivre, quand vieillesse tu nous tiens, telle est bientôt la question.

Le film n’y répond pas. Ou peut-être que si. A nous de voir, en définitive en suivant les pas de J. Alfred Prufrock au pays de Sorrentino…

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image empruntée à nouveau ici

La solution: Madame de La Fayette et « La Princesse de Clèves »

C’est une SCRIBE inconnue qui a trouvé dès la première heure la solution de l’énigme de ce samedi. Toutes nos félicitations.

Eh oui, officiellement, le roman de Madame de La Fayette (1634-1693), « La Princesse de Clèves  » est considéré comme « out ». Trop compliqué pour les guichetiers de la poste! Trop démodé pour rester sur la liste des programmes scolaires. Et qu’on ne s’avise pas à l’évoquer (comme on le fait couramment) en allant retirer un recommandé dans l’agence postale la plus proche!

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L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique, ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur la Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves…Imaginez un peu le spectacle. “

Propos tenus lors d’un discours de campagne à Lyon (23 février 2006), par un candidat devenu depuis président de la France. Mais la charge se poursuivra encore,(cf La République des livres du 16 avril 2008)…et l’édito de Philippe Val dans Charlie Hebdo paru le même jour.

« Est-il besoin de rappeler que La Princesse de Clèves, modèle d’intelligence et de finesse dans l’analyse, est la matrice de la littérature moderne ? A ce titre, ce livre fait partie du bagage culturel de tout honnête homme de notre temps, fut-il attaché d’administration, voire même,horresco referrens, guichetier ! »

Pierre Assouline

photo: Marina Vlady dans le film réalisé par Jean Delannoy en 1961 et empruntée à ce site .

Barak Obama, Orson Welles, Pierre Assouline et les autres…dans le mystère du rosebud

Dans un billet récent, on pouvait lire sur le blog @MERICA:

« C’est le « Rosebud « , la clef qui permet de comprendre l’autobiographie de Barack Obama, Dreams from my father. Edition française: Presse de la Cité

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Du moins c’est ce qu’affirme le très à droite Presto Pundit, qui a mis la main sur un article écrit en 1965 par le père du candidat à l’investiture démocrate pour l’East Africa Journal. »

Pierre Assouline, en 2006, à la sortie de son livre justement intitulé « Rosebud »,

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en donnait la définition suivante:

 » Rosebud, nom, masculin, de l’anglais rosebud signifiant  » bouton de rose « , métaphore issue du film Citizen Kane… « . Plus de trente ans que je cherche le rosebud en chacun. Ce petit rien qui nous trahit en nous dévoilant aux autres. Le rosebud peut être un vêtement, un objet, un geste. Un paysage de neige dans une boule de cristal. Une oeuvre d’art éventuellement. Ou une madeleine. Ce peut être une trace ou une empreinte. Parfois même un simple page d’un livre. Ou un mot. Qu’importe si c’est juste un détail, pourvu que ce soit un détail juste. Rudyard Kipling, Henri Cartier-Bresson, Paul Celan, Jean Moulin, Lady Diana Spencer, Picasso, Pierre Bonnard, cachent tous leur rosebud. Seuls des éclats de biographies, ombres de vérité, m’ont semblé à même de révéler dans ce qu’ils ont d’insaisissable et d’essentiel. » P. A.

En effet, dans son célèbre film « Citizen Kane », Orson Welles fait référence à la vie du magnat de presse américain William Hearst. Rosebud est le dernier mot qu’il prononce sur son lit de mort. Il s’agit donc d’une énigme que le cinéaste nous conduit à résoudre, autant que faire se peut, à travers les facettes de la vie du héros dont on parcourt la trajectoire jusqu’à l’enfance. Le voici jouant avec sa luge, cette même luge qui doit être jetée au feu après sa mort et que la caméra approche jusqu’à en déceler l’inscription apposée, à savoir...rosebud!

Boucle bouclée. Enfin si l’on veut. Mystère et fragilité d’un destin hors du commun…Mais rosebud possède aussi une acception érotique. Hearst, dit-on, désignait ainsi le clitoris de sa maîtresse Marion Davies présentée dans le film comme une artiste alcoolique

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et de peu de talent! Secret de Polichinelle, il n’empêche que Hearst fit tout pour empêcher la sortie du film (1941) qui connut depuis le succès que l’on sait!

Ainsi donc, c’est le rosebud, (mais lequel?) qui perturbe la campagne de Barak Obama !

Le sien, de rosebud, serait logé dans le passé de son père kenyan, dont les discours progressistes sont brandis, comme des épouvantails par la droite américaine.

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photo empruntée ici

Pirates: du bandit au bâtisseur d’utopie, un filon littéraire et médiatique pas encore démenti

 

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Voilier Ponant: les pirates jugés en France?

LEXPRESS.fr

mardi 15 avril 2008, mis à jour à 08:41

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« Il existe une énorme différence entre pirates et corsaires. Si les seconds employaient des méthodes vaguement similaires à celles des premiers, ils étaient munis d’une lettre de marque et de représailles ou Lettre de course remise par un roi ou un gouvernement, qui les autorisaient à attaquer les navires d’une nation ennemie. Les Barbaresques, en Méditerranée étaient des corsaires, de même que certains marins maltais, qui étaient autorisés par l’Ordre de Malte ».

Intéressante, cette mise au point de Wikipedia. Ainsi, les pirates ne sont que de vulgaires voleurs agissant pour leur propre compte, tandis que les corsaires volent noblement au profit d’un commanditaire patenté!

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L’Île au trésor de Stevenson a joué un grand rôle dans notre imaginaire collectif, notamment pour imposer l’image du pirate dont Long John Silver incarne à jamais le stéréotype. On retrouve par exemple ses traits caractéristiques dans le personnage du Capitaine Red interprété par Walter Matthau dans le film Pirates de Roman Polanski (1986)

L’Ile de Madagascar possède à elle seule, nombre de très belles histoires de pirates. En particulier celle racontée par Defoë (oui, c’est bien cela, le Defoë de Robinson Crusoë!), dans « Histoire générale des plus fameux pirates » publiée en 1726. hist-pirates.1208276308.jpgIl s’agit du récit de la fondation d’une cité utopique fondée par deux pirates associés, un gentihomme provençal du nom de Misson et un père dominiquain défroqué, l’italien Caraccioli. La cité fut établie au nord de l’île, à l’emplacement de l’ancienne Diégo Suarez devenue Antsiranana et peuplée par les esclaves libérés des bateaux arraisonnés et pillés.

La cité s’appelait Libertalia .

« Defoë y décrit l’existence d’un parlement et d’un exécutif élu pour trois ans. L’entrée de la baie fut fortifiée et les pirates se mirent de plus en plus à cultiver la terre, à élever du bétail, à s’installer tranquillement sur ce territoire conquis par la paix et l’abondance. Malheureusement, l’histoire raconte que la prospérité de la petite république et le vent de liberté qui y soufflait causèrent sa perte. Les habitants des collines voisines profitèrent d’un départ en mer d’un grand nombre d’hommes pour attaquer la cité, la piller et massacrer sa population. Ce fut la fin de Libertalia. Il n’en resta rien, hormis quelques indices retrouvés de temps à autres… »

Extrait de « Pangalanes , retour à Madagascar ». Chantal Serrière. L’Arbre vert. 2001

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La solution: Elfriede Jelineck écrit « La pianiste »

C’est Leila Zhour , qui, la première a avancé le nom d’Elfriede Jelinek. Bravo! Ce n’était pas facile. Alain.L avait évoqué de manière judicieuse Virginia Woolf auquel mon titre renvoyait. C’est lui qui énonce le livre « La pianiste » qui a connu un succès international dans son adaptation cinématographique.

Elfriede Jelinek , donc, est née en Autriche en 1946 et a reçu le Prix Nobel en 2004.

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Son roman le plus connu et le plus vendu: La Pianiste, a été adapté au cinéma en 2001 par Michael Haneke avec Isabelle Huppert, Annie Girardot et Benoît Magimel dans les rôles principaux.

Bien que son écriture parfois proche de l’invective et révélant sans détour aussi bien l’obscénité de certaines relations familiales que la perversité des pressions sociales, bien que cette écriture sèche, rauque et violente fasse peur, l’auteur affirme: « Je suis plus effrayée par les autres qu’ils ne le sont par moi. »

Son œuvre a été traduite en français par Yasmin Hoffmann et Maryvonne Litaize et, pour l’essentiel, éditée par Jacqueline Chambon.

« Ses derniers romans sont devenus plus compliqués, explique Jacqueline Chambon. J’ai refusé de traduire « Avidité » (Le Seuil, 2003) et Le Seuil s’est courageusement attaqué aux « Enfants des morts ». Moi-même, je n’arrivais pas à lire ce dernier roman. En plus, elle s’est mis à faire des gros livres de 600 pages. Et personne ne trouve grâce à ses yeux. Elle exprime une noirceur presque insoutenable. Je trouve même qu’elle perd son humour. » (Jaqueline Chambon, extrait d’un entretien avec Frédérique Roussel, Libération, 7 octobre 2004)

Mais, cette figure sombre des lettres contemporaines ne permet-elle pas la catharsis de toute une génération? Il faut certainement savoir gré à l’Académie suédoise d’avoir décelé au-delà des apparences provocatrices «  le flot musical de voix et contre-voix dans ses romans et ses drames qui dévoilent avec une exceptionnelle passion langagière l’absurdité et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux» et aussi le fait que «ces romans représentent chacun dans le cadre de leur problématique un monde sans grâce où le lecteur est confronté à un ordre bloqué de violence dominatrice et de soumission, de chasseur et de proie. Jelinek montre comment les clichés de l’industrie du divertissement s’installent dans la conscience des êtres humains et paralysent leur résistance aux injustices de classe et à la domination sexuelle.»

l’énigme du samedi: Qui a peur de cet écrivain?

Certains écrivains font peur

jusqu’à leurs traducteurs.

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Cet écrivain-là, au-delà des honneurs récents

offre, comme en exutoire, une écriture qui, peut-être,

délivre de tous les maux.

Un des grands.

Mais il faut un certain courage pour parcourir

ses ouvrages ou regarder les adaptations qui en sont faites.

Avez-vous une idée de l’auteur évoqué?

Et du titre de l’une de ses oeuvres adaptée au cinéma?

La servante au grand coeur… de Baudelaire, Flaubert, Bergmann, Marion Laine et tous les autres…

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La servante au grand coeur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,

…Si, par une nuit bleue et froide de décembre,
Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre,
Grave, et venant du fond de son lit éternel
Couver l’enfant grandi de son oeil maternel,
Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse?

 

Elles n’ont pas de nom, comme l’anonyme servante de Baudelaire , mais elles s’appellent parfois Félicité, Rosalie, Anna ou Marie. Et nous les avons tous rencontrées ces figures sans âge, allégories maternelles, qui nous rassurent tant. L’art en général et la littérature en particulier, les sort parfois de l’oubli, leur donnent un visage, restituent leurs gestes. Car elles-seules savent bercer les mourants, comme Anna le fait dans le film de Bergmann, « Cris et Chuchotements » . Car elles-seules permettent le passage d’un monde à l’autre. De l’adolescence à l’âge d’homme, par exemple, dans leur abnégation ancillaire, comme la Rosalie d’« Une Vie  » de Maupassant. Car elles-seules, encore, sont le garant de ce fantasme inguérissable, celui du dévouement absolu, total, sans limite, telle Anna, racontée par Flaubert dans « Un coeur simple » et que la cinéaste Marion Laine fait revivre sous les traits de Sandrine Bonnaire.

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Car elles-seules, enfin, comme les pietàs l’incarnent, sont les servantes infinies et désintéressées des désirs et des douleurs des enfants qu’elles portent dans leurs girons, d’une rive à l’autre, de leur naissance à leur mort.

 

Ne pas manquer de lire au sujet d’Un coeur simple, adapté par Marion Laine, l’article de Pierre Assouline