Le voyage à Chantilly-1

1- Strasbourg-Paris

Quelques années après la Première Guerre Mondiale, dans un petit essai intitulé « Le voyage à Nuremberg« , Hermann Hesse (1877-1962), prix Nobel de littérature en 1946, profite de ce voyage pour s’interroger profondément sur lui-même. A partir des paysages traversés, des images de l’enfance surgissent, des pensées s’accrochent à la parenthèse du présent en marche. Il écrit:

« J’ai pu constater en tout cas que les motifs de mes propres actes se situent toujours hors du champ de ma raison ou de ma volonté. Me demandant, par exemple, ce qui fut réellement à l’origine de mon voyage du Tessin à Nuremberg…je me trouve très embarrassé. Plus j’y regarde avec attention, plus mes raisons et motivations m’apparaissent multiples,, diverses,sans rapport les unes avec les autres et semblent remonter très loin dans le passé. Elles ne s’ordonnent pas en une suite logique et linéaire; elles forment plutôt un réseau complexe, si bien que d’innombrables événements anciens de ma vie semblent finalement expliquer ce voyage banal et imprévu. »

Si les raisons d’un voyage ne sont pas toujours aussi complexes que celles évoquées par Hesse dans son essai, il n’en reste pas moins que le temps arrêté dans sa course quotidienne oblige le voyageur à poser son regard hors de son environnement habituel. Il peut lire,ouvrir son ordinateur, écrire, scroller, bavarder avec qui l’accompagne, certes, mais aussi regarder par la fenêtre et s’interroger. Curieusement, le train à grande vitesse ne paraît pas filer si vite…

Strasbourg-Paris, tout d’abord.

Chantilly, c’est pour plus tard. Or, ce voyage à Chantilly, comme annoncé dans le titre de ce billet, ne répondait à aucune raison obscure. Il s’agissait très simplement de répondre à l’invitation d’un des membres d’une fratrie de quatre garçons nés après la Deuxième Guerre Mondiale. S’il avait fallu trouver à travers la littérature un portrait du plus jeune d’entre eux,

l’invitant, à cette rencontre, c’eût été sans nul doute le dernier né de la fratrie Kramazov, Aliocha. Un Aliocha comme il se doit, doux, tendre, à la spiritualité rayonnante, mais également un Aliocha ancré dans la vraie vie, frère, père et époux très aimant. Les invités, quant à eux, eussent pu choisir à leur gré tout personnage, bien sûr, duquel ils se fussent sentis proches et dont la littérature offre une galerie non exhaustive: Fabrice, Etienne, Julien, Eugène, Roméo., Lucien… le choix est vaste. Mais revenons au voyage.

Strasbourg-Paris. 13h 49. Pas de grève. Le GV part à l’heure. Dessinant les collines lointaines, les premières forêts vosgiennes à peine apparues, disparaissent en un clin d’oeil. En effet, pour franchir les Vosges du Nord, la ligne de chemin de fer et le canal de la Marne au Rhin se rejoignent avant le village d’Arzviller « perché sur une hauteur, à peu près à mi-distance entre Sarrebourg et Saverne. Les deux tunnels, fluvial et ferroviaire (tunnel d’Arzviller), sont parallèles.

Source wikipedia.

Construit par l’ingénieur Henri Navier sur une longueur de 2678mètres, le tunnel fut mis en service dès 1851. De sinistre mémoire, il servit de garage au train d’Hitler qui retrouvait des troupes stationnées au village de Lutzelbourg afin de participer à la mairie le 26décembre 1940, à une fête autour de Noël, avant de repartir le lendemain pour Berlin. J’ignorais cela, évidemment en montant dans ce OUIGO, mais aujourd’hui, téléphone en mains, tout renseignement pour insolite qu’il soit, est directement accessible. Pensées sombres à l’intérieur du tunnel obscurl!

A la sortie, avec la lumière qui aveugle, réapparaissent les forêts.

idem

Lui succéderont, à cette saison, par un jour gris de mai, la plate verdure de prairies endormies et c’est déjà la gare de Metz précédées des façades arrières de ses maisons austères aux balcons sur cour. La ville ne se devine pas Il faudra nécessairement un jour revenir et découvrir ses rues aux murs jaunes, sa cathédrale, jaune également, en pierres de Jaumont, autrefois assombris par la grisaille du temps.

idem

J’y fus normalienne il y a bien longtemps et n’y suis jamais retournée. Me reviennent en mémoire, les courtes heures de liberté rue Serpenoise, et celles, interminables, des études du soir. Oui, revenir pour conjurer l’angoisse de ce qui me paraissait un enfermement. On dit qu’à présent, la ville est très belle et très dynamique.

Le train est reparti. De la terre, monte la lumière d’or des champs de colza en fleurs se disputant l’espace avec les blés en devenir d’un vert tendre. Longue et lumineuse plaine où courent des ruisseaux. Pourtant, çà et là, la terre brune se fend et craquelle.

idem

Au loin, un peu en hauteur, seule silhouette verticale dans cet univers, semble surgir de nulle part, le fantôme d’un moulin… Est-ce illusion ou réalité attrapée au vol, réminiscence ou fantasme d’un monde déjà disparu? Le train à grande vitesse ne fait aucun arrêt sur image, réelle ou fantasmée…le moulin à peine entrevu fait déjà partie du passé….

idem

A Paris, pour rejoindre le TER en direction de Chantilly, il faut quitter la Gare de l’Est où nous débarquons, pour nous rendre à la Gare du Nord. Nous irons à pied, guidés, en provinciaux que nous sommes par notre amie Sylvie qui connaît la capitale comme sa poche! La foule, les trottoirs bondés, le bruit. C’est Paris. Bigarré. Au coin de la rue, un grand Noir transforme une boîte aux lettres en djembé.

Le son résonne, un peu arrêté par l’absence d’une membrane adaptée, mais le rythme est là. Et la foule se met à danser. Ou est-ce moi qui imagine? Le son résonne encore, nous accompagnant jusqu’à l’autre gare. De là, le TER, direction Compiègne, nous fait franchir la frontière invisible entre l’Ile de France et les Hauts de France!

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