Dans le delta du Mékong (2), Fredo: « C’est si beau un Bled! »

Can Tho, janvier 2019

Fredo appartient désormais au delta.

Il est né au nord-est du Vietnam, tout près de la  Baie d’Along, Vịnh Hạ Long en vietnamien, ce qui signifie descente du dragon.

Les animaux sacrés dans la culture et l’architecture vietnamiennes - ảnh 1

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Mais c’est tout au sud, à Can Tho, qu’il s’est installé, retrouvant le dragon pourvu à présent de neuf corps sinueux lorsqu’empruntant le cours du Mékong, la créature mythique se divise en son delta, pour avaler la mer de Chine.

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Fredo tient avec son épouse le Mekong Logis, petit hôtel bien nommé, bordant une ruelle à l’écart du vrombissement des vespas rutilantes.

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La cour ombragée, toujours fraîche malgré l’implacable chaleur grâce au léger souffle de vent agitant le feuillage de ses manguiers, incite à la nonchalance au creux de hamacs hospitaliers. Ici, tout est simple et tranquille.

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Fredo et son épouse, la délicieuse Nhung.

Photo empruntée sur ce site.

Fredo enfant. Orphelin à 8 ans. La rue est son terrain de jeu, son école, son refuge. Mais de vrai terrain de jeu, d’école ou de havre, il n’en connaîtra pas. C’est la guerre au Vietnam. L’interminable guerre!

Fredo, aujourd’hui. L’ombre sur son visage. Son geste de la main. « Ma vie n’était pas belle. Laissons. N’en parlons pas! C’était hier ».

Fredo à cette heure, qui rattrape le temps perdu. Atteint d’une boulimie d’apprentissage! Apprendre. Apprendre. Observer. Observer. Comprendre. Comprendre. Et transmettre…

Autodidacte complet, il se met à réfléchir à la structure des langues.Photo: GS

Le français et le vietnamien. A la manière de les enseigner. Nul besoin des récentes méthodes de français langue étrangère qui lui paraissent totalement déconnectées de la réalité. Il possède un trésor: une pile d’ouvrages de conjugaison à la couleur rouge, le fameux Bescherelle et des livres de lecture dont on se servait en France pour initier telle ou telle leçon de grammaire ou de vocabulaire dans les années 50.

Les volumes, achetés pour quelques dongs, sont très défraîchis. Quand elles existent encore, les couvertures s’émiettent sous les doigts. « Qu’importe! La France est là », dit-il.

Il se désole cependant. A la braderie où il a pu acquérir tous ces ouvrages, il n’y avait aucun Bled!

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 » C’est si beau, un Bled! s’exclame-t-il. Toutes ces règles, tous ces exercices, toute cette connaissance de la langue française! »

Et Fredo rêve de le posséder un jour ce fameux Bled, talisman opérant le jour des examens!

Car son épouse a brillamment obtenu le niveau A1. Grâce à lui, bien sûr. Il en est très fier. A présent, il se concentre sur le niveau A2. « Alors, ce sera une vraie reconnaissance! » Quand ma femme réussit, c’est aussi moi qui obtiens le niveau. Moi qui ne suis jamais allé à l’école! Je suis tellement heureux! »

Alors, il observe. Il analyse, il classe au delà de ce que les grammaires proposent. Il invente d’autres progressions qui rendent les choses plus claires pour son épouse. « Ne t’inquiète pas des verbes du 2° groupe, pour l’instant. Concentre-toi sur  ceux du 3° groupe dont tu as le plus besoin, aller, par exemple… »

Pour la langue vietnamienne, à l’instar du Dr Tuan Anh Tran dans son récent ouvrage

« Se débrouiller en vietnamien en 12h« 

l’efficacité de l’enseignement de Fredo a stupéfait certains professionnels du secteur. On est venu le voir. Voulait-il partager sa méthode? « Non, il n’en est pas question. je continue à réfléchir. Cela me passionne! »

Le passionne également l’enseignement du Tai Chi. Tous les matins, sous ses manguiers, il entame sa journée par les gestes ancestraux…

Ainsi apparaît Fredo, intarissable conteur au verbe haut et à l’imagination fantasque,  généreux passeur de ce que lui a appris la vie, des épreuves de la rue à celles de la guerre, comme des merveilleuses découvertes cachées dans un simple Bled, jusqu’à la connaissance du labyrinthe initiatique du delta.

Silhouettes d’ici et d’ailleurs: Miss Lala, petite cousine de Mary Poppins…

Elle vient d’une lointaine et mystérieuse contrée : l’Azerbaïdjan.

Elle s’appelle Lala.

Elle est professeur de musique a Saïgon

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Son prénom, Lala, pourrait l’avoir prédestinée à la carrière qu’elle a empruntée. Toutefois, en Azerbaïdjan, Lala est un prénom courant qui n’évoque nullement une ritournelle dont on aurait oublié les paroles, mais une fleur, plus précisément, une fleur rouge aux pistils noirs.

Lala, à l’école où elle enseigne, c’est Miss Lala ! Et Miss Lala est adorée de ses élèves qui lui laissent à peine le temps d’un déjeuner sur le pouce. Tous, après le cours, veulent continuer à vivre en musique et à s’exercer sous son contrôle bienveillant, qui, à la guitare, qui au banjo, qui, à la flute, au xylophone ou au violon…

Il faut dire que Miss Lala est rieuse. Les enfants aiment les gens dont les yeux leur sourient. C’est pour cela qu’ils entrent dans sa classe d’un cœur léger, totalement ouvert aux musiques du monde qu’elle transporte dans ses bagages.

Avant d’arriver à Saïgon, Lala a enseigné la musique en Irak, dans une école internationale financée par la Turquie. Les conditions y étaient excellentes. Des concerts pouvaient avoir lieu dans un grand auditorium. Les professeurs étaient logés sur le campus. Puis, à la suite d’actes terroristes dans le pays, l’école a hésité à renouveler ses contrats. Lala, qui élève seule ses deux enfants a postulé pour le Vietnam, à Ho Chi Minh Ville, du nom du fondateur du pays réunifié, mais que tout le monde, sur place, continue d’appeler Saïgon.

Miss Lala, c’est à la fois Mary Poppins, par la gaité, la tendresse et la légèreté de son enseignement, mais également Mère Courage, par la force de son caractère face aux évènements auxquels elle doit continuellement faire face. Formée à l’exigeante école pianistique russe, elle a franchi toutes les étapes pour devenir la musicienne et la pédagogue qu’elle est aujourd’hui. Il faut l’entendre jouer l’impromptu de Chopin ou se rappeler en riant les injonctions de son professeur lorsqu’elle s’essayait, adolescente, a jouer Liebestraum de Lizt:

« après la technique, il faut savoir exprimer  les sentiments! Tu ne pourras jouer ce « Rêve d’amour » que lorsque tu seras amoureuse! »

Et puis un jour, le professeur s’exclame: » Mais c’est cela, magnifique, tu as compris! » Étonnant, en effet! Mais pourtant vrai. Le professeur avait compris que Lala était amoureuse……Lala en rit rit encore!

Hélas, l’Azerbaïdjan, pays de culture aux influences multiples, n’est pas un pays facile. Certes la musique est vivante  à travers ses orchestres traditionnels jouant  un genre musical très ancien, le mugham, classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

IL s’agit d’une musique savante qui laisse une place prépondérante à l’improvisation: suite de mouvements liés à un mode particulier. Il associe le chant à des instruments traditionnels : le târ (luth à 11 cordes), le kamânche (vièle à quatre cordes) et le daf ou le doyre (grands tambours sur cadre, appelés aussi qaval). ( wikipedia)

Mais les conflits ethniques, les découpages territoriaux arbitraires et paradoxalement l’immense richesse pétrolière, avivent régulièrement les tensions externes ou internes. Lala, petite fille au nom de fleur, petite pianiste adolescente, a vu les soldats dans la rue et a été témoin de  scènes violentes. Avec sa famille, elle a eu peur pour son frère, lors d’un sanglant attentat terroriste.

Alors, plus tard, Miss Lala a fait ses bagages…

Mais aujourd’hui, quel parapluie magique la protégera et l’entrainera de nouveau ? Son contrat à Saïgon se termine à la fin de l’année scolaire. II lui faudra refaire ses bagages…

Mais aujourd’hui, quel parapluie magique la protégera et l’entrainera de nouveau ? Son contrat à Saïgon se termine à la fin de l’année scolaire. II lui faudra refaire ses bagages…

Les diplômes durement acquis en Azerbaïdjan pourront-ils un jour être reconnus par la communauté internationale ?

Quel destin demain, pour Miss Lala, petite cousine de Mary Poppins ?