Mon dernier livre, « Héloïse, d’un monde à l’autre », si talentueusement illustré par l’artiste lyonnais, SLIP, est paru aux éditions de l’Harmattan en 2022. Une présentation suivie d’une signature s’est déroulée en juin à Strasbourg à la librairie Dinali, il y a déjà presque un an!

Modestie bien ordonnée commençant par soi-même, il n’en fut pas écho sur ce blog. Cependant, le parcours singulier de l’ouvrage depuis sa parution, mérite peut-être un peu d’attention.
Tout d’abord, bien que le travail d’écriture n’en soit nullement cause, la réalisation du livre jusqu’à son point final fut laborieuse. Simple au départ, le projet visait à mettre par écrit l’histoire transmise oralement d’une lointaine aïeule prénommée Héloïse (1854-1897), une histoire qui avait beaucoup impressionné les générations de femmes lui ayant succédé! De généalogiste à historienne, et je ne suis ni l’une ni l’autre, il me fallut aborder des rivages inconnus et la métaphore n’est pas gratuite puisque, par recherches interposées, le projet m’a conduite jusqu’aux Antilles! Avant de les mettre en mots, il me fallut trier à travers la légende familiale, les éléments authentifiés de ceux qui ne l’étaient pas, pire, de ceux qui avaient été purement et simplement inventés ou confondus avec d’autres.
De quoi s’agit-il donc?
Extrait de la 4ième de couverture:
L’aventure d’Héloïse s’enracine dans la grande Histoire des migrations et dans celle, singulière, ayant conduit son père jusqu’en Guadeloupe au milieu du XIX° siècle. C’est ainsi qu’à partir d’une histoire vraie, le roman plonge le lecteur au moment de l’abolition de l’esclavage. Le journal de voyage de Jean Bellat, maçon de la Creuse lettré, fervent défenseur de la République, permettra-t-il de comprendre la raison de son départ en Guadeloupe ? Vingt ans plus tard, sa fille Héloïse tient son propre journal pendant la traversée la ramenant dans l’autre sens, des Antilles à la métropole. Tout a changé. Les bateaux sont plus rapides, le confort du passager nettement amélioré, le monde moderne s’ouvre, chargé d’espoirs.

Voilà le pitch, comme on dit si bien en anglais, ou abrégé au Québec, ou pourquoi pas le résumé, comme on le dirait , finalement en français …Or voici que le récit- et c’est magie pour un auteur- s’évade du cadre qui lui est imparti dans cet ouvrage de 225 pages, pour se poursuivre dans un article du dernier bulletin (194. janvier-avril 2023) de la Société d’Histoire de la Guadeloupe.
L’historien à l’origine de cet article intitulé « Constructions et destructions de ponts sur la rivière à Goyave et sur la Rose, cours d’eau majeurs de la commune de Goyave » est Daniel-Edouard Marie-Sainte.


Voici ce qu’il écrit, p 62, dans son article:
« Sur le chantier du pont de la Goyave, ouvert en 1853, était employé Jean Bellat, ouvrier maçon embarqué avec sa famille pour la Guadeloupe, peu après l’abolition de l’esclavage. Il appartenait à une longue lignée de maçons de la Creuse, (note de bas de page 119) département et métier particulièrement concernés par le phénomène migratoire qui, dans la seconde moitié du XIX° siècle, poussait ces ouvriers vers la capitale française, les villes portuaires et les colonies.(120) Jean Bellat, « tailleur de pierres » déclare la naissance de sa fille Héloïse à Basse-Terre en 1852. La transmission d’un savoir-faire ancestral se perpétua sur sa terre d’accueil puisque son fils Etienne, mineur d’âge à son arrivée, devint lui aussi maçon, puis maître maçon.(121) M.Bellat « domicilié à Basse-Terre Extra-Muros » décéda en décembre 1854, à Goyave (122) alors que se déroulaient les travaux de reconstruction du pont. »
Notes de bas de page:
119. Le nom de cet ouvrier et le mouvement migratoire de maçons de la Creuse vers la Guadeloupe, sont révélés par Chantal Serrière, dans Héloïse d’un monde à l’autre, L’Harmattan, 2022. Héloïse, native de Basse-Terre, fille de Jean Bellat, est la lointaine aïeule de l’auteure qui mêle fiction et réalité, mais s’attache dans « De la véracité des faits », p. 173-174, à y tracer une ligne de partage..
120. A cette époque, dans un indubitable mépris pour les uns et pour les autres, Charles de Lézardière, ancien préfet de la Mayenne, associa « maçons de la Creuse » et « nègres de la Guadeloupe », réduisant leur langage à un « charabia ». Revue de Bretagne et de Vendée, 2ième série, T.10, Nantes, 1866, P. 393.
121. Comme mentionné dans son acte de décès, à Pointe-Noire en 1861, à l’âge de 28 ans.
122.Registre des décès de Goyave, acte du 9 décembre 1854. Le « sieur Bellat, âgé de 54 ans, né à Néoux, département de la Creuse » mourut la veille « dans une maison du bourg ». (Aurait-il été victime d’un fatal accident de chantier?)

On peut imaginer l’émotion de l’auteure voyant surgir sous la plume de l’Historien, ce Jean Bellat, mon ancêtre dont personne n’avait jamais parlé! Car les conteuses successives, pour talentueuse quelles furent, ne se focalisèrent étrangement que sur sa fille, la jeune et romantique Héloïse. Peut-être était-ce parce qu’elles l’admiraient sincèrement et s’identifiaient à elle, vivant sa traversée de l’océan comme une épopée exaltante qui leur serait à jamais impossible à connaître elles-mêmes. La Guadeloupe ou la Martinique, c’est si loin de Montceau-les-Mines où elles vivaient ! Peut-être aussi le métier de Jean Bellat, n’était-il pas assez prestigieux à leurs yeux pour l’évoquer? On ne sait pas. On mélange tout et on rêve…
Les livres quant à eux font leur chemin et les auteurs ne les guident pas toujours. A travers l’immense production littéraire, mon modeste ouvrage a lui aussi traversé l’Atlantique pour rencontrer l’intérêt de Daniel-Edouard Marie-Sainte, spécialiste de l’histoire de Goyave en Guadeloupe, offrant par son article et notes de bas de page, un accueil plein d’empathie et une vraie reconnaissance à ce maçon de la Creuse anonyme qu’était jusqu’alors Jean Bellat!