Jean d’Ormesson se demande si Le Clézio, prix Nobel de littérature, a bien la stature d’un grand écrivain…

Michel Houellebecq (dont il faudra reparler parce qu’au-delà de la légende sulfureuse, c’est peut-être/ou non, un « grand » aussi?), vendredi dernier, sur France Inter,

interrogé sur sa réaction à l’attribution du Prix Nobel de littérature 2008, déclarait n’avoir rien à dire parce qu’il ne connaissait pas Le Clézio!

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Jean D’Ormesson (à propos duquel on a déjà tout dit),  le même jour, sur France 2,

interviewé par la très souriante Sophie Davant, annonçait que depuis la deuxième moitié du XX° siècle, il n’y avait hélas plus de « grands écrivains ».

-Où sont les Gide, en effet, se lamentait-il?andre_gide01.1223887392.jpg

Et à propos de Le Clézio et de son prix Nobel:

-Je me demande s’il a vraiment la stature d’un grand écrivain!

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Après cela, on s’étonnera que la critique américaine annonce la mort de la culture française! Et que Pierre Assouline s’en indigne à juste titre dans un de ses billets récents.

A force de tourner en rond et de mijoter dans son jus, le cénacle littéraire parisien a fini par tuer sa poule aux oeufs d’or. Les sempiternels souvenirs d’enfance bourgeoise des uns (mais tout le monde n’est pas Proust), les descriptions cliniques de la sexualité des autres, les recherches infinies sur la forme,  les tribulations à deux sous des midinettes esseulées… Certes. Dieu qu’on s’ennuie à ouvrir la manne de notre show biz littéraire français!

Mais est-ce à dire que la littérature est morte qui s’écrit encore en français?

Allons, allons! A trop avoir le nez dans les piles de lecture imposée, on en oublierait qu’il existe autre chose que la consommation littéraire fast-food, nombriliste ou élitiste.

Heureusement, loin des cercles officiels ou à l’étranger, quelques grands parmi nos écrivains semblent exister encore. Vous avez dit François Cheng ? Philippe Claudel? Michel Houellebecq peut-être?  Ou d’autres, Yasmina Khadra, Nancy Houston, par exemple?  D’autres qui vous sont chers et que vous avez su déceler? Et Le Clézio, bien sûr, qui nous exhorte:

« Il faut continuer à lire des romans,  c’est un très bon moyen d’interroger le monde réel », article du Nouvel Obs.

Interroger le monde réel? En voilà une idée!

Alors nous lui obéirons. Nous continuerons à lire des romans. Mais souvent des romans non imposés par le seul profit éditorial via les plateaux médiatiques complaisants.

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Ces pistes de cirque clinquantes qui ne reflètent en rien notre littérature vivante, celle parfois discrète mais qui finit toujours (enfin, on l’espère), par révéler les « grands écrivains ».

Photo: funérailles nationales d’un ‘grand écrivain’, Victor Hugo (1885)

Portrait: Gide par Théo van Rysselberghe

Tableau de Maxime Dastigue (1851-1908): Balzac. Image empruntée au site l’Histoire par l’image

Tableau: Le cirque de Georges Seurat. 1891.

Qui a tué Davy Moore? Au-delà du fait-divers, décrire la misère morale d’une société: la nôtre

Qui écrira? Qui trouvera les mots? Le courage?

Un Philippe Claudel peut-être,  que ne rebutent pas Les âmes grises ? Qui, en définitive? Où est-elle cette plume non asservie à la comédie des faux lustres de la littérature contemporaine? Cette plume  libre  se gaussant du cynisme ambiant? Chez une Christine Jeanney , encore peu connue, mais dont les mots vont au charbon, aux frontières des dérives de notre mal être, entre  gravité, humour et infinie tendresse?

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Vous avez vu, comme moi, ce jeune gamin de 13 ans, racontant avec ses mots de « djeune » (qu’il est un signe de grande branchitude de savoir pratiquer dans les milieux littéraires les plus « tendance »! On se reportera à l’encensement médiatique orchestré par P.O.L . pour Polichinelle , de Pierric Bailly ). Bref, vous l’avez vu comme moi, ce gamin, au JT de 20 heures présenté par le beau Laurent Delahousse. Le gamin. Frimousse d’enfance. Rien que de très ordinaire dans l’affrontement d’un ado avec un prof de physique excédé. Excédé par l’attitude de ces gosses ingérables? Par l’inintérêt de sa vie? Des difficultés familiales?

Le gamin connaît ses droits. Il se plaint d’un coup de poing reçu pour ne pas avoir obtempéré à la demande du prof de lui remettre son carnet de notes. J’ignore si ma version est la bonne. Qu’importe. Car vous avez vu également, le père . Ses yeux effarés. Il est là, le père. Celui qui a porté plainte pour défendre son fils. S’en est suivi la garde à vue du prof.  Garde à vue  qui précède son suicide. Drame dont  le père du gamin est peut-être la cause. On ne sait pas. Mais lui,  le père, il sait et il le dit, que s’il avait su, justement, il n’aurait pas porté plainte. Le décor. La cuisine ordinaire. Le visage du père. Atterré. Gris. Les joues creuses.

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On éclaircira les circonstances. On découvrira la fragilité de ce professeur. Ou non. On s’apercevra qu’il avait résisté au-delà du possible. On chargera l’enfant. On le verra manipulateur. Ou non. On se rendra compte qu’il est lui-même victime. On observera le père. Son comportement de plaignant conforme à l’attitude irresponsable des parents de l’époque. Ou non. On fera le point sur la machine répressive du système éducatif français qui broie ses enfants et ses propres agents. On ciblera la police, le juge ou le flic capables de se venger d’un mauvais souvenir scolaire. Ou non. On pointera du doigt l’absence de médiation du proviseur, l’évanescence syndicale, le complot déstabilisateur contre l’Ecole Publique…

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Mais, à ce stade, vraiment, les causes du drame  ou le contraire de ses causes, ne résoudront rien. Comme une réminiscence des paroles de Bob Dylan dans « Qui a tué Davy Moore et pourquoi est-il mort? « , que Graeme Allwright a chanté en France à la fin des années 70.

Retour à la cuisine. La caméra filme cet homme simple accoudé à la table. La détresse dans ses yeux. La candeur du regard de l’enfant. La bonne foi dans la rondeur des joues. Les murs sont nus. Il pleut de la grisaille jusque sur la toile cirée. Misère. Misère d’un monde sans repère où l’adulte n’a plus de rôle, où l’enfant est autiste, où plus rien n’est signe, hors la loi de l’instant.  Brutale et pulsionnelle.

Pour ce qui est du sens à donner à la vie…Mais je m’égare.  Les outils de production de notre société et les nécessaires consommateurs de base auraient-ils besoin  d’un sens à donner à leur vie?

La religion dites-vous?

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Ah, c’est vrai! Je comprends mieux l’intention de certains discours récents . Heureusement que les grands timoniers qui nous gouvernent veillent à répandre un peu d’opium à ces peuples qui dérangent la liturgie de leurs banquets .

image de la justice empruntée à l’Encyclopédie Encarta