Le voyage à Chantilly-2

2- Le jardin enchanté

« La vie n’obéit jamais à une chaîne de raisons claires et distantes, comme c’est le cas pour la pensée, écrit Hermann Hesse dans l’incipit de son ouvrage « le voyage à Nuremberg« . S’il devenait un pur esprit libéré de la matière, l’homme pourrait découvrir un principe infaillible de causalité à l’œuvre dans sa vie. Il serait alors en droit de croire qu’il n’existe pas d’autres causes à ses actes que celles qui lui sont apparues clairement. Car précisément il ne serait qu’esprit et uniquement cela. Mais je n’ai encore jamais rencontré un tel homme ou plutôt un tel dieu… »

Pour reprendre les arguments de Hesse, qui sait les motivations profondes de chacun des frères à répondre à l’invitation de leur frère cadet? Témoignage d’affection profonde de la part de chacun d’eaux? Curiosité? Deux d’entre eux ne connaissaient pas le lieu, qui d’ailleurs n’est pas Chantilly, mais le village précédent, Coye-la Forêt, dont la gare dessert également Orry-la-ville. Désir de revivre ensemble les plaisirs et tourments de l’enfance lointaine? Tout cela à la fois, probablement, et plus encore, peut-être le désir de partager avant qu’il soit trop tard, ce que la vie n’a pas toujours permis de partager, l’espace, le temps, l’insouciance et les rêves?

Avec un peu de courage et d’entraînement, il est tout à fait possible de se rendre à pied de la gare au centre du village. Un chemin longeant la forêt y conduit en quelque vingt minutes. Mais le trajet fut accompli en voiture. L’hôte attendait ses premiers invités sur le quai de la gare. Chaleur immédiate des retrouvailles.

La maison de Jean-Mi, alias Aliocha, se trouve au coeur de Coye, bordée par le mac adam d’une rue tranquille.

photo empruntée ici. Les étangs de Commelles.

Une porte rouge. On entre. Pascale , à la cuisine ouverte sur les autres pièces, nous accueille très chaleureusement. Un grand chien noir exprime joyeusement son contentement. Et déjà, ayant déposé nos sacs à même le sol, nous traversons le salon blanc qui donne sur la vaste véranda lumineuse, qui ouvre… sur le jardin. Celui dont la photo apparaît au début de ce billet! Immédiatement accueillant sous son entrée presque solennelle de bois vieilli caché sous les glycines! Le grand chien noir continue à sauter autour de nous et à nous tendre une balle bleue qu’il ne s’épuise jamais à rapporter lorsque nous la lui lançons dans l’herbe verte.

Caché aux yeux de qui arpente le village, le jardin n’est accessible qu’à l’arrière de la maison. C’est un jardin secret. Qui franchit le seuil, happé par l’exubérance colorée, n’en voudra plus sortir. Car sans nul doute, c’est de plus un jardin un peu magique. Je le disais « enchanté »dans le sous-titre du billet. Dès les premiers pas, une curieuse impression de mystère vous saisit en effet alors que tout est si simple! Le chemin herbeux menant tout au fond, les encoignures sombres appuyées contre le mur voisin, l’explosion rouge du rhododendron, le petit pavillon clair servant d d’atelier au maître des lieux. Est-ce lui le magicien?

Le lendemain, c’est jour de couronnement en Angleterre. Avide du spectacle d’un autre âge, démesuré, insensé, je squatte le salon devant l’écran de télévision, et de temps à autres, prise de remords, jette un oeil aux vicissitudes du temps présent sur une chaîne d’infos. La guerre.

Les deux frères partent à Chantilly acheter de la crème. Cela ne s’invente pas! Quant à moi, je ne verrai rien, cette fois-ci, du célèbre château de Chantilly. J’imagine alors une montagne de crème, un dôme d’une blancheur éclatante au-dessus du paysage.

Les deux autre frères arriveront avec leurs épouses, l’un en voiture, l’autre par le train. 14h 30. Le déjeuner peut commencer. Un délicieux déjeuner d’Un dimanche à la campagne.

image empruntée à Télérama

Côte de boeuf au barbecue, petites pommes fondantes aux herbes, haricots verts, fromages et dessert-maison: des douillons dont la recette s’évade tout droit d’une nouvelle de Maupassant, « Le vieux », tiré des « Contes du jour et de la nuit » (1885). A l’extérieur, il pleut. Un peu. De temps à autre. Puis le soleil revient. L’air est léger, très léger. les conversations s’échangent, la bouche pleine des douceurs sucrées du dessert. Le jardin imprime son inflorescence sur les vitres de la véranda.

Beauté indicible du moment. Est-ce cela, en définitive qu’offre la fratrie réunie par le plus jeune des frères? L’accès à la beauté de « tout ce qu’on entend , l’on voit et l’on respire…?

Ecoutons François Cheng:

En ces temps de misères omniprésentes, dit-il, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourra paraître incongru, inconvenant, voire provocateur. Presque qu’un scandale. Mais en raison de cela même, on voit qu’à l’opposé du mal, la beauté se situe bien à l’autre bout d’une réalité à laquelle nous avons à faire face. Je suis persuadé que nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les extrémités de l’univers vivant: d’un côté, le mal; de l’autre, la beauté. Cinq méditations sur la beauté. F. Cheng. Albin Michel. P13.

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