Ecritures…du fond d’un monde oublié

Voici un témoignage de Guinée. cailloux-barry.1221587777.jpgCelui de Nadine Barri, dans son livre « Les cailloux de la mémoire ».(Karthala).

 

La page qui va suivre présente cet autre témoignage. Il est signé Aïssatou Bah. Il est emprunté à Guinéenews – Conakry :

Conakry : Témoignages authentiques d’un calvaire au quotidien d’une jeunesse aux abois. Wawa : un autre train de vie.

Posté le: 9/14/2008 4:58:16 PM

Il a été poignardé en pleine figure. Dans son quartier, à l’instar d’autres secteurs de la capitale, la guerre des gangs fait rage. Dans ce milieu où le désœuvrement règne en maître, où les perspectives sont aussi sombres que précaires, on est agressé sans raison apparente.

C’est ce qui est arrivé à Bakary, en ce crépuscule de fin de semaine. Après une bousculade délibérée, une demande d’explications houleuse, des excuses refusées, Bakary, tombant dans le piège de la provocation, affronte ses adversaires. Il est seul, ils sont quatre. Il est vite terrassé avant de recevoir un coup de couteau en pleine figure et de perdre aussitôt connaissance. Appelée d’urgence sur les lieux, la famille accourt. Bakary est conduit dans un petit dispensaire des environs où, contre quelques billets de francs guinéens, il reçoit les premiers soins : un sérum antitétanique, du mercurochrome et un pansement. Quant à recoudre la blessure, le médecin est formel : quelques billets de banque en plus seront nécessaires. Démunie et inquiète, la mère tente de plaider : elle a vraiment donné tout ce qu’elle possède, elle n’a plus rien. Il est vrai que Bakary lui avait confié ses petits gains, perçus en accomplissant de menus travaux dans le voisinage, mais elle avait tout dépensé pour acheter de la nourriture aux petits. Elle est tenaillée par le remords. Si seulement elle avait su ! Elle supplie le monsieur en blouse blanche de lui soigner son garçon, surtout que le praticien n’a pas manqué de lui signifier que mal soignée, la plaie risquait de s’infecter, non sans ajouter que « cela serait très grave, la blessure étant située dans un endroit aussi vulnérable que la tête. » Redoutant le pire, la mère laisse échapper un sanglot, implore encore. Rien à faire, le médecin reste intraitable, rétorquant que lui aussi a des ventres à nourrir, des médicaments à acheter, un transport à payer… Titubant, le visage crispé et ensanglanté, n’ayant pas encore tout à fait réalisé ce qui lui arrivait, Bakary, retenu par sa mère en larmes et ses amis accourus aux nouvelles, quitte le dispensaire.

Un garçon intelligent et courageux

Elève dans un établissement public de la banlieue de Conakry où il vit avec sa famille, grand, très sportif et bien bâti, Bakary est un beau garçon qui, malgré les apparences, est encore dans l’adolescence. Dans son regard sombre, on peut aussi bien lire la frustration que lui imposent les difficultés quotidiennes que la détermination à réussir sa vie. Né à Abidjan d’un père malinké et d’une mère peulhe jadis installés en Côte d’Ivoire, il a prématurément perdu son père, un homme qui avait réussi dans les affaires dans la capitale économique ivoirienne et qui n’a pas survécu à la perte de sa fortune après les troubles qui ont secoué le pays au début de la décennie.

Désormais veuve et seule responsable d’enfants en bas âge, sa mère décide de rentrer en Guinée auprès des siens. Sa famille, confrontée à ses propres soucis, est trop pauvre pour l’épauler dans l’éducation des enfants. Remariée à un Camara de Forécariah, un brave type au chômage qui se lève tous les jours aux aurores pour sillonner la capitale à la recherche d’une activité afin de nourrir une famille qui s’est agrandie de deux naissances, la mère de Bakary s’épuise à trouver de quoi nourrir sa progéniture. Le marché du coin ? Les prix des denrées augmentent tous les jours. Et encore ! Cela est valable pour les ménages qui peuvent se payer le luxe d’y faire quelques emplettes au quotidien. Quand la saison est favorable à la cueillette des mangues, pour plusieurs familles du quartier et d’ailleurs, le repas consiste à la consommation de ces fruits crus ou cuits dans la marmite qui est censée servir à préparer les différents repas du jour, mais dont l’utilisation devient cependant de plus en plus rare, faute de moyens.

Il ne rechigne pas à la tâche, Bakary. Sitôt rentré à la maison une fois l’école finie, et avant d’aller se livrer à son sport favori, le football, il loue ses jeunes muscles en s’adonnant à de menus travaux. Avec sa brouette acquise il y a de cela quelques mois par on ne sait quel moyen, il propose ses services comme apprenti maçon en transportant gravier et sable après avoir aidé à creuser les soubassements des chantiers domestiques. A l’occasion, il aide aussi à accomplir peinture et carrelage, à confectionner des briques destinées à la construction, même s’il n’est pas toujours rémunéré, « pour apprendre. » S’il n’offre pas tout bonnement son « assistance » moyennant finance aux voisins pour la coupe des petites branches débordantes des manguiers dont les feuilles, d’après les conseils qu’il leur prodigue, abîment la toiture de leurs maisons. « Je vais vous éviter des désagréments en même temps que je vous fais faire des économies. Vous me payez, et je vous évite des tôles percées, de l’eau dans vos lits et l’obligation d’acheter des tôles neuves si chères, sans compter les frais de main-d’œuvre pour leur pose » leur lance-t-il malicieusement. Le petit pécule gagné çà et là à force de témérité, Bakary le confie à sa mère, pour, dit-il réaliser un projet, l’ouverture d’un petit télé centre de fortune devant l’entrée de la maison. Mais pour cela, il faudrait que le propriétaire des lieux n’y voie pas d’objection, car les parents de Bakary louent deux chambres contiguës dans une cour exigue qu’ils partagent avec d’autres familles.

Ses plus jeunes frères gagnent de temps en temps un billet décoloré de 500 FG, en allant évacuer des ordures à la décharge (dont on connaît les dangers que courent les petits qui la fréquentent) ou en allant chercher de l’eau au forage, courbant l’échine sous le poids de bidons qui pèsent presqu’autant que leurs kilos.

La nuit de son agression, Bakary et sa famille n’ont pas rendez-vous avec le sommeil. Sa blessure le fait atrocement souffrir, il perd de nouveau connaissance. Le lendemain matin, son père adoptif se rend au commissariat. On lui rétorque que pour déposer une plainte, il doit débourser 10 000 FG, somme nécessaire, lui explique-t-on, pour retrouver les assaillants et les amener à répondre de leur forfait. Le père est stupéfait : comment peut-on lui réclamer de l’argent alors qu’il ne peut même pas payer les frais nécessaires pour soigner son garçon ? « Vous avez juste à nous donner 10 000 francs, insistent les policiers. Car une fois cette somme payée, si nous retrouvons les agresseurs, ce sera à eux de payer les soins médicaux de votre fils. » Pas du tout convaincu par ce discours, et les poches vides de toute façon, notre homme quitte « les forces de l’ordre » la tête basse. Retour à la maison, où Bakary se tord de douleur, la tête sur les genoux de sa mère, entouré par ses petits frères et sœurs apeurés, et par les copains très tôt revenus s’enquérir de ses nouvelles

Les copains, d’ailleurs, ont juré de le venger par le sang. La chasse à l’auteur du coup de couteau a commencé dès la veille. Celui-ci, flairant le danger, s’est évidemment éclipsé avec les caïds de son clan. Dans le quartier où la consommation de drogue n’est un secret pour personne, deux gangs sévissent et se mènent une guerre sans merci. Les jeunes, dès la puberté, sont obligés de choisir l’un ou l’autre camp: pas question de rester neutre. « On subit des pressions intolérables de part et d’autre. Chacun des groupes nous dit : si tu ne veux pas t’engager dans nos rangs, c’est que tu es contre nous. Résultat : pour ne pas avoir tout le monde à dos et risquer notre vie sans personne pour nous défendre, chacun de nous choisit sa « nouvelle famille » en fonction de critères comme la présence d’un copain au sein du groupe, l’ascendance de l’un des gangs sur l’autre à un moment donné, etc. » confie un tout jeune homme.

Destination Wawa : le monde insensé des enfants du pouvoir

Sur la route qui mène à la sortie de Conakry, un cortège attire l’attention : deux camions remplis de militaires armés jusqu’aux dents escortent une voiture tous terrains. Les sirènes retentissent de temps à autre, des cris et des injures sont proférés par les hommes en tenue prêts à faire usage de leurs armes pour écarter les automobilistes qui n’auraient pas compris le rang si important des occupants de la luxueuse voiture : des enfants du président de la République, accompagnés d’autres enfants de barons du régime, ont exprimé le vœu d’aller passer quelques heures à Wawa. Ils sont à Conakry pour les vacances, et ont décidé d’aller se prélasser un peu au « village ». A propos de village, il s’agit plutôt d’un ranch de plusieurs hectares qui abrite des chevaux bien nourris et bien entretenus, de grosses vaches rondelettes, d’innombrables véhicules 4×4 étincelants, des champs à perte de vue qui pourraient nourrir plus d’un Guinéen… Une belle bâtisse surgit au regard des visiteurs. Richement aménagée, la maison de trois étages, équipée d’un ascenseur, est vide : le président Conté est à Conakry dans ses palais de la capitale.

Les jeunes visiteurs sont détendus, épanouis, sans le moindre souci. Pendant les heures que durera leur visite dans ce ranch qu’on croirait situé sous d’autres cieux, loin du territoire guinéen, ce riche domaine entouré de la misère d’une population aux abois, ils vont passer des moments inoubliables. La table est mise, on déguste des victuailles à profusion, on s’interpelle joyeusement, on rit de toutes ses dents, on se lance des blagues à n’en plus finir, et on n’en finit plus de rire. Pourquoi pas ? La vie est belle, elle se présente sous les meilleurs auspices. Et tant pis si des milliers de Bakary à travers le pays la perçoivent autrement, privés du minimum vital auquel ils peuvent légitimement prétendre, dans une Guinée, la leur, au sol fertile, au riche sous-sol exploité par des sociétés minières étrangères qui se partagent la manne avec des dirigeants véreux. Tant pis pour les malades démunis dont les corps s’entassent dans les morgues (s’ils ne sont pas chassés des hôpitaux faute d’argent avant d’y mourir.) Tant pis pour les enfants affamés, les pères honteux d’être au chômage et à qui on a ôté toute dignité de chef de famille, les mères qui triment pour faire survivre leur progéniture, les jeunes sans perspectives, drogués par ceux-là même qui sont censés les en protéger.

Nos visiteurs de Wawa, eux, sont bien nourris, bien soignés, voient l’avenir en rose. Ils ont des comptes en banque bien garnis, de l’argent de poche en devises à volonté, des études assurées à l’étranger, des villas luxueuses en Afrique, des appartements onéreux en Occident, des maisons cossues en Orient. Décidément, ils n’ont pas le moindre souci, ces jeunes-là. Ils sourient à la vie. Et la vie le leur rend si bien…

©1997-2008 Guinéenews. Tous droits reservés. Aissatou Bah

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Lettres africaines (10): C’est la dernière lettre. Mais avant de partir, l’écriture d’un conte pour le musée de la musique


pour le musée de la musique à Ouagadougou,

La flûte-à-parler

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En Afrique, certaines flûtes savent parler. Oui, je dis bien. Parler. Parler ? Je vous vois douter. Vous ne me croyez pas. Mais pourtant, je vous l’assure, les flûtes parlent. Tout à fait. Comme vous et moi. Certes, d’autres restent discrètes et se contentent d’émettre de simples notes. Mais la flûte que possédait Lasso était de celles qui parlent, justement.

Souvent, à l’angle de la rue Sangoulé Laminzana et de l’avenue de l’Oubitenga, juste à côté de la buvette qui s’est installée contre le mur rouge du musée de la musique à Ouagadougou, Lasso s’asseyait sur un banc et jouait de la flûte. Comme la circulation est intense à certaines heures sur l’avenue, il se trouvait peu de monde à savoir que l’instrument racontait des histoires et que sa musique était très belle. Le vrombissement des mobylettes, les grincements des freins au feu rouge et la trépidation des voitures composaient une musique bien plus sonore que celle jouée sur sa flûte, par le jeune musicien. C’était pour tout dire, une musique de rue mal éduquée, agressive, assourdissante, grinçante et surtout horriblement discordante.

Lasso avait la chance inouïe de ne pas entendre ce qu’il voulait ne pas entendre. Ainsi, bien qu’il ne fût pas sourd (ce qui eût été bien triste pour un musicien), la cacophonie de la circulation n’atteignait même pas la pointe de ses oreilles. Il s’asseyait donc sur le banc au coin de la rue et jouait tranquillement, sans être dérangé.

A bien la regarder, la flûte de Lasso n’était en fait qu’un mince tube de bois de ronier qu’on avait percé de trois trous seulement. Et cela suffisait à l’artiste pour inventer toutes les notes des musiques de son monde. A l’endroit où il posait les lèvres pour donner vie au morceau de bois, il y avait un peu de cire durcie afin de délimiter la bouche de la flûte, là où lui-même mêlait son souffle à celui de l’instrument.

C’est donc ainsi qu’il se mettait à jouer. A peine les premières notes envolées, il partait alors loin, très loin de la grande ville. Il se retrouvait au village, au moment de l’hivernage, lorsque dévalent les eaux abondantes des collines toutes vertes. Il était redevenu le gamin d’autrefois, sautant de flaques en flaques, comme il y en a après les grosses pluies qui ravinent les cours des cases.

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Car il aimait à jouer des notes rafraîchissantes, surtout quand aux grands carrefours de Ouagadougou, la chaleur rend le bitume brûlant et lorsque l’air est électrique, juste avant que n’arrivent les premières pluies tant attendues. Et si par hasard, justement, elles oubliaient de revenir ?

Un jour qu’il était à jouer, là, rêvant à la fraîcheur du village, assis sur son banc, au milieu de l’orchestre infernal de la circulation urbaine, le feu du carrefour qui venait de passer au rouge, se bloqua. D’ordinaire, le temps arrêté était si court, que le bruit ambiant ne faiblissait pas. Mais cette fois-ci, l’interruption prolongée amena les conducteurs à couper un instant leurs moteurs.

La petite flûte de Lasso resta seule à se faire entendre. Et soudainement la température se fit plus fraîche. Certains voyageurs pourtant pressés quittèrent leurs véhicules pour s’approcher. Il y eut bientôt un cercle autour de Lasso qui continuait à jouer la musique des jours où il fait moins chaud, où les champs de mil verdissent, où l’air est moins lourd. Et puis, tout-à-coup, la flûte se mit à parler.

Au feu rouge, tout était bloqué. Les propriétaires des mobylettes et des automobiles se rassemblaient toujours autour du musicien. Même le conservateur du musée, intrigué par le silence habité par la seule flûte, était descendu de son bureau pour se rendre compte de ce qui se passait. Suivirent les animateurs et toute la classe de jeunes enfants auxquels ils venaient d’expliquer les trésors de leur établissement, et aussi la serveuse de la buvette, et les petits tabliers, et les marchands ambulants, et bien sûr les autres musiciens, Dami, Yaya, Bouba et les autres, qui étaient en train de répéter dans la salle de concert.

Lasso n’en était pas troublé. La flûte profitait de l’audience inhabituelle pour parler à son aise. Il la laissait raconter. Elle était libre. Il lui donnait son souffle. Elle le mêlait au sien. Elle était sereine et savante. Elle racontait à chacun sa propre histoire : aux uns, les contes mossis, aux autres, les récits peuls ou gourmantchés ou encore… Sachant que la population du Burkina Fasodénombre au moins soixante ethnies à l’identité marquée, avec souvent une langue propre à chacune d’elle, le discours de la flûte qui passait de l’une à l’autre (car c’était aussi l’un de ses talents de savoir parler toutes les langues), attirait toujours plus de badauds.

Bientôt les habitants des autres quartiers arrivèrent près du musée de la musique pour écouter la flûte enchantée de Lasso. Ceux de Paspanga et de Dapaya et ceux de Zongona, et aussi ceux de Dassasgo, et de Tanghin, sans compter ceux de Dag-Noën et tous les autres bien sûr, qu’il est impossible de citer là. Plus aucun véhicule ne circulait en ville. Le feu du carrefour avait été depuis longtemps réparé et passait régulièrement au vert sans que quiconque s’en préoccupât. Alors la flûte invita les autres instruments à jouer avec elle. Le balafon, le djembé,le luth à tête de bœuf, le sifflet si malin qui lui aussi sait parler, la kora ventrue, l’arc à bouche, la corne venue du fond des âges, la vielle monocorde du mendiant qui avait autrefois bercé le sommeil des rois, les grelots, tous les instruments, sortis du musée eux-aussi, s’en donnèrent à cœur joie…

Et quand la première goutte de pluie de la première pluie de l’année tomba, le concert, alors, s’arrêta. Lasso rangea tranquillement sa flûte dans son étui rouge. Les instruments retournèrent un à un au musée, les badauds reprirent, qui leurs mobylettes, qui leurs véhicules pour rentrer chez eux. Le feu rouge cligna soudain de son œil vert. Et la vie reprit comme avant son orchestration grinçante et horriblement discordante.

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Mais c’est faux. La vie était autrement. La vie d’avant la musique de la flûte avait tout de même un peu changé. Car la musique, toujours, modifie le cours du monde. La musique, toujours, fait battre les cœurs autrement. Rendons-en grâce aux musiciens qui savent si bien apprivoiser l’âme de leurs instruments. Car ce sont eux les magiciens, qui, comme Lasso avec sa flûte-à-parler, permettent enfin l’arrivée de la pluie, la pluie, la pluie bienfaisante sur les champs craquelés du Sahel.

Chantal Serrière

28/05/08

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Photo 1: Lasso, le flûtiste bwaba, originaire dune famille de griots de l’ouest du Burkina.

Photo 2: Une mare sur la route de Bobo-Dioulasso

Photo 3: La circulation de Ouagadougou, au feu rouge, juste devant le musée.

Photo 4: sécheresse autour d’un village. Heureusement les arbres…

lettres africaines(7): La galerie branchée où s’invente l’Indigola

Bien sûr, la galerie où Somkeita Ouédraogo expose, n’a rien d’une galerie branchée! Un bel espace cependant rendu possible par le village artisanal où artistes et artisans de Ouagadougou peuvent révéler leurs oeuvres.

Autour de lui, les couleurs dont il est fier. En alliant la tradition de la teinture à l’indigo naturel avec celle du bogolan , dont nous avons parlé dans un billet précédent, il crée ce curieux métissage de teintes ocres et bleues qu’il appelle… « l’Indigola ».

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Somkeita a d’abord appris l’art de la teinture. A Bobo-Dioulasso. Toute l’Afrique raffole de ces étoffes teintes à la main selon des procédés ancestraux qui utilisent les plantes. Il y a deux ou trois ans, en Guinée, j’avais suivi deux peintres, Issiaga Bah et Ibrahima Bary jusqu’au coeur du massif du Fouta-Djallon (dont ils étaient originaires) pour raconter avec eux le secret de l’indigo ayant influencé leurs palettes d’artistes. J’ai d’ailleurs décrit ce voyage dans « Indigo, ou l’histoire extraordinaire de deux peintres du Fouta-Djallon », resté pour l’instant à l’état de manuscrit.

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Mais revenons à Somkeita Ouédraogo. Autodidacte cherchant à aller toujours plus loin dans sa recherche sur le métissage des couleurs, le voici à présent, à la découverte des signes . De l’Egypte au Pays Dogon, l’Afrique traduit ses rites et croyances en symboles graphiques que la stylisation conduit souvent jusqu’à l’abstraction. Somkeita les décèle un à un, dans les ouvrages qu’on lui offre parfois. Tant de passion créatrice interpelle! Mais il les traque aussi sur les étoffes, les murs. Partout. Ici ou lors de voyages. Il a d’ailleurs exposé en France et au Luxembourg. Alors il les fait se rencontrer, tous ces signes. Il les mêle et invente l’écriture métissée des cultures africaines!

Tout est dans le grand cahier qu’il tient sous son bras. Une aventure à suivre!

Peinture d’Issiaga Bah, peintre guinéen: « Les tresseuses bleues du Fouta Djallon ».

Lettres africaines (6): Afrique réelle, Afrique rêvée…

Parce que ma petite chronique africaine peut sembler parfois trop belle, trop idéalisée, il me paraît utile de nuancer le propos. Je ne rêve pas l’Afrique, je la regarde. Et, de ce fait, plus je la regarde et plus je m’aperçois à quel point je suis loin d’atteindre la complexité de sa réalité.

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Mais tandis que je parcours tranquillement les salles rondes du musée de la musique à Ouagadougou, les militaires de Guinée effraient le pays par leurs tirs, afin, dit-on, de toucher des arriérés de salaire. L’Afrique du sud prend son visage des mauvais jours, la misère touche le plus grand nombre à travers tout le continent, Darwin poursuit son cauchemar pérenne au bord du Lac Victoria, les trafics d’armes, de drogues, se multiplient, les enfants vont moins à l’école après les aberrants programmes financés par les plus grands bailleurs de fonds….On sait tout cela. Et pire encore. Les guerres incessantes, les pillages au profit des prédateurs mondiaux et des élites locales. Oui, on sait tout cela.

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Je pourrais raconter par le menu les manipulations exemplaires: l’obligation de démocratie selon les critères du plus puissant, l’enrôlement forcé des petits enfants à la nécessité de savoir un peu lire (juste un peu), un peu écrire, un peu compter, afin de fournir la main d’oeuvre de base indispensable au dieu du développement tel que nous l’adorons, les goulets d’étranglement ne permettant pas l’accès au secondaire, les parodies d’université, la formation et la reconduction des élites à l’étranger. Tout cela sous bannière de splendides slogans indiscutables: « Education pour tous » ! Allez donc émettre des réserves!

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Je pourrais développer ce que l’on fait en toute bonne conscience aux femmes qu’on dit si harassées de tâches, en leur imposant, par exemple, d’abandonner leurs puits traditionnels au profit de puits modernes tellement plus pratiques, qu’elles devront désormais entretenir, gérer, réparer en achetant la pièce éventuellement usagée. Où d’ailleurs la trouver cette pièce? Et où trouver l’argent pour l’acheter cette pièce? Les femmes n’ont pas de liquidité dont elles puissent se servir. Qu’à cela ne tienne. Hop! Voilà un joli programme de formation concocté à leur égard par une ONG bien-pensante. Eh! Pauvres femmes du Sahel, si vous fabriquiez de l’artisanat qui vous permettrait de le vendre et d’avoir une cagnotte? Ah! Que voilà une bonne idée! En plus de la corvée d’eau, de l’entretien du puits, voilà une tâche supplémentaire. Apprendre à faire des paniers, par exemple, puis partir les vendre au village. Admettons qu’on les achète. Avec l’argent, aller à l’autre village où peut-être on vend la pièce. A pied, bien sûr. Revenir. Reprendre ses tâches domestiques, aller chercher le bois. Faire les paniers ou autres objets. Et le soir, surtout pas de flamme vive. Car il y a les programmes « foyer amélioré « . Parfaitement justifiés. Ils permettent de lutter contre la désertification. Alors vous pensez! Une petite cage en métal, ou en banco, une porte, et on enferme le combustible qui est ainsi économisé par une combustion enfermée. Normalement les femmes devraient être contentes, puisque les études qui ont tout chiffré démontrent qu’il faut moins de bois, donc moins de travail pour aller le chercher. On a même chiffré le coût des déplacements à pied d’une femme allant chercher du bois, ou allant à la rivière ou au puits traditionnel éloigné. Que ne sont-elle contentes alors? depuis au moins trente à quarante ans que ces programmes existent, oui, en définitive, que ne les ont-elles en définitive adoptés?

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Ce qu’on oublie pourtant, c’est que la flamme, sa lumière, son apprivoisement entre les trois pierres du foyer traditionnel, c’est aussi le réconfort, la beauté, très loin des mots pour le dire. Le plaisir de la vie, quoi!

Alors, il faudra inventer mieux que des cages où la flamme est enfermée pour protéger la planète et par là, venir en aide aux hommes et femmes les plus démunis. Les bonnes intentions ne suffisent pas. C’est un grand luxe de pouvoir prédire le lendemain, de l’anticiper. Soumise à des conditions de vie extrêmes, les populations du Sahel résistent. Résistance! Bien sûr, elles ne le savent pas, mais la répétition de leurs actes leur font écrire et réécrire quotidiennement dans l’espace et à travers chacun de leurs gestes, toute l’histoire de l’humanité et de sa survie. Survie! Leçon de survie! Cela mériterait certainement plus qu’un regard bien intentionné de la part des experts de tous bords au chevet du malade ou teinté d’exotisme condescendant pour les aventuriers en quête de fortune ou d’émotions.

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C’est pourquoi, pour rompre avec le schéma habituel du discours sur l’Afrique désolée, désolante, j’ai choisi délibérément d’évoquer à travers ces quelques lettres, les aspects les plus positifs, les plus enrichissants qui sont aussi parfois les plus humbles, jalonnant une visite forcément trop courte et de vous en faire partager enseignement et saveur.

-Photo de l’Afrique rêvée empruntée au site du jardin zoologique de Lyon.

-La dernière photo est celle d’un foyer traditionnel empruntée à ce site , foyer dit « à trois pierres », où la flamme est éclairante. L’intensité du foyer se règle en tirant ou poussant les bâtons de bois. Les femmes le préfèrent pour les raisons évoquées ci-dessus et également parce qu’elles voient l’état de la combustion et peuvent la régler très simplement.

Lettres africaines (5): Le musée de la musique à Ouagadougou

Le village où il n’y a pas de musicien n’est pas un endroit où l’homme puisse rester.

(Proverbe burkinabè)

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Pour n’avoir qu’une seule corde en crin de cheval, le violon exposé au musée de la musique à Ouagadougou, n’en possède pas moins d’âme que le plus illustre des stradivarius exhibé avec fierté au musée de Crémone (Italie) où son inventeur l’a créé.

Au commencement, tout au commencement, il faut savoir que les instruments de musique africains sont sacrés. Musique rituelle que seuls les initiés peuvent jouer lors de cérémonies très codifiées, mariage, funérailles, baptème, sortie des chefs, rituels médicinaux, etc…

Ainsi, pour être montré aux visiteurs, comme d’ailleurs tous les autres instruments qui l’entourent, le balafon rencontré dans l’une des niches rondes de ce musée incroyable de Ouagadougou a dû être …désacralisé.

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Le musée de la musique, construit en brique locale crépie d’ocre à l’extérieur, de blanc à l’intérieur comme le montre la première photo, ressemblerait presque à une église orthodoxe avec ses alvéoles ouvrant sur l’espace central circulaire. Tout un dédale de niches abritant le trésor musical du pays, comme si le chemin pour le découvrir, devait ne pas être rectiligne, mais bien, sinueux, complexe, comme un sentier initiatique dans la chaleur d’un lieu non climatisé. Sur le modèle des espaces de vie de la majorité de la population du Burkina.

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Le musée existe depuis 1999 et sa réputation est grande dans toute l’Afrique de l’Ouest. Il a permis de recenser tous les intruments de son partimoine. Un travail énorme quand on sait qu’il existe 60 ethnies au Burkina qui toutes ont créé leur relation propre à la musique: flûtes et luths des populations pastorales tout au nord du pays, grands tambours du plateau mossi, flûtes, sifflets et cornes au centre du pays, balafons du sud…

Autour de Jean-Paul Koudougou, son jeune conservateur très compétent,

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l’équipe actuelle (animateurs, musiciens), est dynamique, motivée, accueillante. Ils m’ont tout naturellement conviée et acceptée parmi eux afin de susciter l’expression orale et écrite d’enfants et adolescents à partir des instruments qu’ils découvrent, en tant que petits citadins. Un vrai bonheur de les avoir vus vivre le rythme des djembés, des les avoir conduits à l’invention de contes, de danser avec eux dans la chaleur et la poussière…Réconfortante Afrique! Loin des clichés négatifs. Car cette Afrique-là existe. Je vous l’assure. Et je l’ai rencontrée.

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Lettres africaines (4): quand le prince qui gouverne sait renoncer à la guerre

A ouagadougou, tous les vendredis, à 8 heures précises, le roi des Mossis part à la guerre.

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Des raisons de faire la guerre, il en a, évidemment. Comme tout chef d’un peuple qui se respecte. Son cheval attend, bridé, sellé, harnaché de rouge, devant l’entrée du palais de terre. La porte de paille s’ouvre et le roi sort, vêtu de sa tenue guerrière d’un rouge-orange flamboyant.

De l’autre côté de la cour, le griot royal s’est avancé. Il bat sur son tambour tenu sous l’aisselle, le rythme de la cérémonie. Un coup de fusil est tiré. C’est le début de la guerre.

Or, voici que s’avance lentement la cohorte des chefs coutumiers. Ils ont retiré leurs bonnets brodés et s’agenouillent à distance respectueuse devant leur souverain. Les corps sont inclinés vers la gauche. Les bras droits s’élèvent et retombent: ils scandent la plaidoirie en faveur de la paix. Rythme. Ballet lancinant du geste implorant la renonciation à la guerre. Ils frappent enfin leurs paumes et les frottent pour recueillir la sagesse.

Puis ce sont les ministres du Moro qui viennent s’agenouiller pour conseiller en sages, le pardon aux fautifs, la clémence à l’égard de ceux qui ont provoqué la guerre imminente. Et enfin, les responsables musulmans, gardant leurs coiffes, puisqu’ils ne peuvent l’ôter sans blasphème (preuve de l’infini respect des différences à l’intérieur de la société), se rendent à leur tour auprès du roi et lisent le coran.

Devant tant de conseils, le Moro est songeur. Il rentre dans son palais. La guerre aura-t-elle lieu? Il semblerait que non. Mais il faut très vite faire disparaître le cheval qui lui, attend toujours de partir en guerre, son harnais rouge étincelant au soleil matinal. Alors en un clin d’oeil, le maître des écuries le lui retire. Et voici devant le peuple médusé le galop d’un jeune pur-sang. Robe noire, fines chevilles blanches. Sa course fougueuse s’inscrit sur le blanc d’un long mur conduisant à l’enceinte de la demeure royale. Ouf! Il n’est plus là lorsque le Moro réapparaît par une porte ouverte dans le mur blanc. Lui-même est blanc! Entièrement vêtu de blanc. Il passe et retourne à son palais de terre tandis qu’un coup de canon vient clôturer la cérémonie (elle a duré 20 minutes à peine vingt minutes) et célébrer la paix recouvrée.

Ouagadougou reprend son souffle. Les mobylettes vrombissent. Les fonctionnaires retournent à leurs ministères. Les députés au parlement. Les enfants à l’école et moi devant mon blog…

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Mais dites-moi où, n’en quel pays, un seul parmi ces princes qui nous gouvernent saurait de telle sorte écouter l’avis des uns et des autres? Dites-moi quel dirigeant des démocraties modernes aurait assez de jugement pour renoncer, sans perdre la face, à sa propre croisade inéluctablement programmée?

La représentation symbolique qui s’est déroulée devant nous ce matin, comme tous les vendredis de l’année, est ainsi réconfortante et émouvante. Mais on ne peut la prendre en photo. Elle reste dans nos mémoires. Puissiez-vous partager ces images sans images, avec nous…

La petite illustration est empruntée à un site de fabrication du bogolan par des artisanes

La photo, empruntée à Wikipedia, montre un chef coutumier (traditionnel) d’une région du Burkina devant sa case.

Lettres africaines (3): le bogolan, l’étoffe millénaire ou s’écrit l’histoire de l’univers

Mercredi 21 mai.

Village artisanal de Ouagadougou.

40° à l’ombre. Les toiles de coton du bogolan (bandes larges de quelques centimètres, longues de plusieurs mètres, cousues entre elles pour former un panneau) trempent dans une infusion verdâtre de feuilles de n’galama. D’autres sont étendues en plein soleil afin que ses rayons tranforment leur couleur indécise en jaune.

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L’artiste Rison, d’origine malienne, penché sur une tenture presque achevée, époussette les contours blancs des dessins qu’il y a apposés. Les dessins qu’il a cernés de blanc sont noirs. D’un beau noir intense, obtenus grâce à une terre argileuse déposée au pinceau. Le motif alors est d’un gris terne. Mais une fois séché, puis lavé et à nouveau séché, il devient ce noir profond, indélébile.

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Quand Rison dessine ses motifs sur la tenture qui ornera nos murs, l’artiste nous offre un peu de son savoir d’initié. Car il vient du pays dogon . Mais juste un peu. Il y a nombre de secrets qui ne se dévoilent pas. La profondeur de l’histoire du monde. La géométrie de l’univers. L’union de l’homme et de la femme. Leurs places dans cet univers. Leur descendance…Nous, peut-être sur ce chemin qui donne sens à nos vies?

De ses quatre baguettes de paille, Rison fait voler la poussière blanche qui limite les graphismes symboliques. Autant en emporte le vent. Et de me raconter la grande aventure des hommes, et, en particulier, celle de cet homme africain qui, le premier, a posé le pied dans l’histoire…N’en déplaise à un certain discours prononcé récemment à Dakar!

 

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Photo 3: l’artiste époussetant l’enduit blanc enserrant ses graphismes.

 

Photo 1 et 2 empruntées à un très beau site (en anglais) dont je suis en train de rechercher la référence.