Lettres africaines (6): Afrique réelle, Afrique rêvée…

Parce que ma petite chronique africaine peut sembler parfois trop belle, trop idéalisée, il me paraît utile de nuancer le propos. Je ne rêve pas l’Afrique, je la regarde. Et, de ce fait, plus je la regarde et plus je m’aperçois à quel point je suis loin d’atteindre la complexité de sa réalité.

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Mais tandis que je parcours tranquillement les salles rondes du musée de la musique à Ouagadougou, les militaires de Guinée effraient le pays par leurs tirs, afin, dit-on, de toucher des arriérés de salaire. L’Afrique du sud prend son visage des mauvais jours, la misère touche le plus grand nombre à travers tout le continent, Darwin poursuit son cauchemar pérenne au bord du Lac Victoria, les trafics d’armes, de drogues, se multiplient, les enfants vont moins à l’école après les aberrants programmes financés par les plus grands bailleurs de fonds….On sait tout cela. Et pire encore. Les guerres incessantes, les pillages au profit des prédateurs mondiaux et des élites locales. Oui, on sait tout cela.

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Je pourrais raconter par le menu les manipulations exemplaires: l’obligation de démocratie selon les critères du plus puissant, l’enrôlement forcé des petits enfants à la nécessité de savoir un peu lire (juste un peu), un peu écrire, un peu compter, afin de fournir la main d’oeuvre de base indispensable au dieu du développement tel que nous l’adorons, les goulets d’étranglement ne permettant pas l’accès au secondaire, les parodies d’université, la formation et la reconduction des élites à l’étranger. Tout cela sous bannière de splendides slogans indiscutables: « Education pour tous » ! Allez donc émettre des réserves!

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Je pourrais développer ce que l’on fait en toute bonne conscience aux femmes qu’on dit si harassées de tâches, en leur imposant, par exemple, d’abandonner leurs puits traditionnels au profit de puits modernes tellement plus pratiques, qu’elles devront désormais entretenir, gérer, réparer en achetant la pièce éventuellement usagée. Où d’ailleurs la trouver cette pièce? Et où trouver l’argent pour l’acheter cette pièce? Les femmes n’ont pas de liquidité dont elles puissent se servir. Qu’à cela ne tienne. Hop! Voilà un joli programme de formation concocté à leur égard par une ONG bien-pensante. Eh! Pauvres femmes du Sahel, si vous fabriquiez de l’artisanat qui vous permettrait de le vendre et d’avoir une cagnotte? Ah! Que voilà une bonne idée! En plus de la corvée d’eau, de l’entretien du puits, voilà une tâche supplémentaire. Apprendre à faire des paniers, par exemple, puis partir les vendre au village. Admettons qu’on les achète. Avec l’argent, aller à l’autre village où peut-être on vend la pièce. A pied, bien sûr. Revenir. Reprendre ses tâches domestiques, aller chercher le bois. Faire les paniers ou autres objets. Et le soir, surtout pas de flamme vive. Car il y a les programmes « foyer amélioré « . Parfaitement justifiés. Ils permettent de lutter contre la désertification. Alors vous pensez! Une petite cage en métal, ou en banco, une porte, et on enferme le combustible qui est ainsi économisé par une combustion enfermée. Normalement les femmes devraient être contentes, puisque les études qui ont tout chiffré démontrent qu’il faut moins de bois, donc moins de travail pour aller le chercher. On a même chiffré le coût des déplacements à pied d’une femme allant chercher du bois, ou allant à la rivière ou au puits traditionnel éloigné. Que ne sont-elle contentes alors? depuis au moins trente à quarante ans que ces programmes existent, oui, en définitive, que ne les ont-elles en définitive adoptés?

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Ce qu’on oublie pourtant, c’est que la flamme, sa lumière, son apprivoisement entre les trois pierres du foyer traditionnel, c’est aussi le réconfort, la beauté, très loin des mots pour le dire. Le plaisir de la vie, quoi!

Alors, il faudra inventer mieux que des cages où la flamme est enfermée pour protéger la planète et par là, venir en aide aux hommes et femmes les plus démunis. Les bonnes intentions ne suffisent pas. C’est un grand luxe de pouvoir prédire le lendemain, de l’anticiper. Soumise à des conditions de vie extrêmes, les populations du Sahel résistent. Résistance! Bien sûr, elles ne le savent pas, mais la répétition de leurs actes leur font écrire et réécrire quotidiennement dans l’espace et à travers chacun de leurs gestes, toute l’histoire de l’humanité et de sa survie. Survie! Leçon de survie! Cela mériterait certainement plus qu’un regard bien intentionné de la part des experts de tous bords au chevet du malade ou teinté d’exotisme condescendant pour les aventuriers en quête de fortune ou d’émotions.

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C’est pourquoi, pour rompre avec le schéma habituel du discours sur l’Afrique désolée, désolante, j’ai choisi délibérément d’évoquer à travers ces quelques lettres, les aspects les plus positifs, les plus enrichissants qui sont aussi parfois les plus humbles, jalonnant une visite forcément trop courte et de vous en faire partager enseignement et saveur.

-Photo de l’Afrique rêvée empruntée au site du jardin zoologique de Lyon.

-La dernière photo est celle d’un foyer traditionnel empruntée à ce site , foyer dit « à trois pierres », où la flamme est éclairante. L’intensité du foyer se règle en tirant ou poussant les bâtons de bois. Les femmes le préfèrent pour les raisons évoquées ci-dessus et également parce qu’elles voient l’état de la combustion et peuvent la régler très simplement.

5 commentaires sur “Lettres africaines (6): Afrique réelle, Afrique rêvée…

  1. Comme dirait Bachelard – et Lévy Strauss aussi, sans doute – « devant une flamme nous communiquons moralement avec le monde » (« La flamme d’une chandelle », PUF, 1970, p. 21).

    Le puits sans fond de l’Afrique est salopé par le néocolonialisme toujours présent : vous l’avez vu, de vos yeux.

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  2. Témoignage sur le vif, touchant et combien révélateur de ce que l’on peut seulement supposer, aveugler que nous sommes par les médias, depuis nos appartements confortables, nos voitures climatisées et nos pavillons avec piscines.

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  3. Votre chronique africaine fait rêver et frémir,… réfléchir aussi.
    Le néocolonialisme se drappe maintenant, parfois, de beaux atours. Les performances de croissance des pays riches de matière première ne font fantasmer que l’infime minorité qui en profite. Et les bonnes intentions de ceux qui imaginent les programmes de développement (durable ?) semblent devoir immanquablement échouer devant des réalités qui semblent terriblement dures et implacables.
    Ne reste-t-il que la beauté d’une culture qui ne doit se partager réellement que sur place ?
    Ou bien à quel prix peut-on encore avoir de l’espoir pour ce continent ?
    Faut-il d’ailleurs parler de continent, tant les différences régionales rendent toute généralisation hâtive ?

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  4. Les bonnes questions sont vraiment posées.
    Pour moi, la non prise en compte des cultures africaines, pour ne pas dire leur négation par l’Occident développé selon ses propres critère, fait que les bonnes intentions ne sont pas toujours si bonnes. Elles ne font que manipuler et masquent l’essentiel.
    Se dire aussi que la nouvelle forme d’esclavage tient dans des concepts ahurissants tels celui d »‘immigration choisie ». Le pillage des cerveaux et abilités diverses privant le continent d’une relève effective.
    Le niveau du cynisme mondial actuel est inimaginable, laissant loin derrière lui les objectifs non déguisés de l’ancien colonialisme. C’est dire!
    C’est pourquoi, à mon humble niveau de passeur de mots, sans condescendance ni obsession, j’essaie d’apporter quelques éléments à la lisibilité de ces cultures de résistance, apparemment illisibles. Le monde symbolique dans lequel évoluent les populations africaines, et vous avez raison de préciser qu’elles ne sont pas uniformes, donne encore un sens à ce passage qu’est la vie. C’est une supériorité incontestable sur l’incohérence du monde dit développé.

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