Lettres africaines (4): quand le prince qui gouverne sait renoncer à la guerre

A ouagadougou, tous les vendredis, à 8 heures précises, le roi des Mossis part à la guerre.

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Des raisons de faire la guerre, il en a, évidemment. Comme tout chef d’un peuple qui se respecte. Son cheval attend, bridé, sellé, harnaché de rouge, devant l’entrée du palais de terre. La porte de paille s’ouvre et le roi sort, vêtu de sa tenue guerrière d’un rouge-orange flamboyant.

De l’autre côté de la cour, le griot royal s’est avancé. Il bat sur son tambour tenu sous l’aisselle, le rythme de la cérémonie. Un coup de fusil est tiré. C’est le début de la guerre.

Or, voici que s’avance lentement la cohorte des chefs coutumiers. Ils ont retiré leurs bonnets brodés et s’agenouillent à distance respectueuse devant leur souverain. Les corps sont inclinés vers la gauche. Les bras droits s’élèvent et retombent: ils scandent la plaidoirie en faveur de la paix. Rythme. Ballet lancinant du geste implorant la renonciation à la guerre. Ils frappent enfin leurs paumes et les frottent pour recueillir la sagesse.

Puis ce sont les ministres du Moro qui viennent s’agenouiller pour conseiller en sages, le pardon aux fautifs, la clémence à l’égard de ceux qui ont provoqué la guerre imminente. Et enfin, les responsables musulmans, gardant leurs coiffes, puisqu’ils ne peuvent l’ôter sans blasphème (preuve de l’infini respect des différences à l’intérieur de la société), se rendent à leur tour auprès du roi et lisent le coran.

Devant tant de conseils, le Moro est songeur. Il rentre dans son palais. La guerre aura-t-elle lieu? Il semblerait que non. Mais il faut très vite faire disparaître le cheval qui lui, attend toujours de partir en guerre, son harnais rouge étincelant au soleil matinal. Alors en un clin d’oeil, le maître des écuries le lui retire. Et voici devant le peuple médusé le galop d’un jeune pur-sang. Robe noire, fines chevilles blanches. Sa course fougueuse s’inscrit sur le blanc d’un long mur conduisant à l’enceinte de la demeure royale. Ouf! Il n’est plus là lorsque le Moro réapparaît par une porte ouverte dans le mur blanc. Lui-même est blanc! Entièrement vêtu de blanc. Il passe et retourne à son palais de terre tandis qu’un coup de canon vient clôturer la cérémonie (elle a duré 20 minutes à peine vingt minutes) et célébrer la paix recouvrée.

Ouagadougou reprend son souffle. Les mobylettes vrombissent. Les fonctionnaires retournent à leurs ministères. Les députés au parlement. Les enfants à l’école et moi devant mon blog…

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Mais dites-moi où, n’en quel pays, un seul parmi ces princes qui nous gouvernent saurait de telle sorte écouter l’avis des uns et des autres? Dites-moi quel dirigeant des démocraties modernes aurait assez de jugement pour renoncer, sans perdre la face, à sa propre croisade inéluctablement programmée?

La représentation symbolique qui s’est déroulée devant nous ce matin, comme tous les vendredis de l’année, est ainsi réconfortante et émouvante. Mais on ne peut la prendre en photo. Elle reste dans nos mémoires. Puissiez-vous partager ces images sans images, avec nous…

La petite illustration est empruntée à un site de fabrication du bogolan par des artisanes

La photo, empruntée à Wikipedia, montre un chef coutumier (traditionnel) d’une région du Burkina devant sa case.

11 commentaires sur “Lettres africaines (4): quand le prince qui gouverne sait renoncer à la guerre

  1. Bonjour,

    Merci pour ce beau texte.

    Concernant les démocrates, ils grenouillent dans un système qu’ils nomment démocratie qui est en fait un mot dont la définition ne fut jamais mise en application.

    Il n’existe que l’Utopie-Démocratique que j’aime bien nommer la « démocratie à gogo pour gagas ». Il n’y a pas de démocratie et d’après moi il n’y en aura jamais.

    Le gros bon sens du roi des Mossis est supérieur à l’Utopie-Démocratique et à la majorité des discours creux des clowns qui se prétendent démocrates. Salut.

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  2. Bonjour Chantal,
    à vous lire il y a toujours beaucoup de richesses dans cette région d’Afrique, mais ce sont des richesses culturelles, dématérialisées et non monnayables.
    S’il n’y a plus de pétrole ou divers métaux précieux, où est la raison d’entretenir une guerre? Vu d’ici on a le sentiment que tant que l’occidental (au sens large, j’entends pays développé ou en achèvement de l’être) ne s’en mêle pas (c’est à dire n’a pas trouvé, ou a épuisé, le filon), il n’y a finalement que peu de morts, quelques bagarres seulement. Ai-je raison un peu ou pas du tout?
    Bon travail!

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  3. Voilà un récit politique de cérémonie qui fait rêver par sa sagesse et sa symbolique! Merci de nous montrer ce visage là de l’Afrique. On attend la suite avec impatience…

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  4. Dom.A a raison, certes. Pas de pétrole, pas d’ennuis. Du moins, pas trop. Mais la parabole du renoncement à la guerre montre que l’objet de son déclenchement est relatif. Ce qui est hautement monnayable à une époque l’est différemment à une autre. Se rappeler que la plus célèbre des guerres, celle fondatrice de notre culture, celle de Troie, a pour prétexte l’enlèvement d’ Hélène. Ménélas n’avait ainsi rien du sage africain décrit ci-dessus. Sa cause était juste et donc juste, la croisade qui en résulte. Il y a toujours un axe du mal à détruire! En d’autres lieux, c’est le vol d’un fétiche qui justifie l’entrée en guerre. En Irak…

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  5. Comme c’est étrange. L’Afrique et moi avons des relations complexes, mitigées. Je suis surtout allée plus bas, au Bénin, et l’atmosphère y est moins « sage »..
    Le sahel et son aridité inspirent la pondération et le respect de ce qui est. Les hommes du sud sont différents. plus riches, plus « faciles », plus envieux sans doute aussi.
    Oui, c’est une belle expérience que la sortie du roi à ouagadougou.

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