Les rouages de la machinerie sont invisibles, mais ils fonctionnent à la manière des engrenages des « Temps modernes ». Ils broient tout ce qui passe sous ses dents d’acier.
Image empruntée ici
Pour comprendre son mécanisme, il faut savoir que la machine à écraser le grain de la pensée vive, utilise deux outils lénifiants dont l’efficacité est redoutable. Le premier est le flot continu de la parole, le second, l’emploi de la couleur sépia. Expliquons-nous.
Prenez une pensée vivante, l’affirmation d’un nécessaire travail sur l’image de la France perçue à l’étranger et du rôle absolu de prédateur que jouent les pays riches dans les pays les plus pauvres, par exemple. Attrapez cette pensée lors d’un débat télévisé. Une pensée un peu dissidente qui vient éclairer l’incompréhension générale devant les prises d’otages et autres exactions abominables. Ecoutez l’argumentation claire qui explique autrement une actualité effrayante et brouillée. Peu importe qui la profère. Voilà que tout s’éclaire et devient limpide. Vous pensez alors que l’animateur va arrêter un temps le cours du flot verbal qui inonde son plateau.
Vous imaginez qu’il a senti le basculement de la pensée unique présentée jusqu’alors en boucle et qu’il va offrir, lui que son rôle déifie, une fraction de seconde, un infime morceau de ce temps qu’il orchestre, une pause où résonneraient en nous des mots chargés de sens. Que nenni! Retour à l’embrouillamini, lutte contre le terrorisme. Violence contre violence. Menaces du chef de l’Etat. Reprise du terme « barbare. Le déferlement des mots se poursuit. Pas de silence surtout! Surtout pas de silence! Ne pas réfléchir. Alimenter en carburant linguistique la machine à laminer la pensée vivante. C’est son rôle, à l’animateur, même s’il ne le sait pas vraiment. Alors il joue son rôle. Que pourrions-nous lui reprocher?
Prenez une autre pensée vivante, celle de Stéphane Hessel, par exemple et plongez-la dans la lumière sépia qui nimbe le joli visage d’Amélie Poulain.
Observez comme la pensée se dissout, s’aplatit doucement dans l’aura passéiste qui lui est imposée. Redoutable, cette arme! Le beau Laurent Delahousse en use dans son 13 heures du week-end. Effet garanti! C’est que Monsieur Hessel est vieux! Et être vieux, dans notre société est une tare absolue, un discriminant total. Ce que l’expérience offre à l’examen d’un présent par nature trop proche de nous, devient handicap. Rien ne se compare. Et surtout pas le passé riche d’enseignements, à la virulence d’événements immédiats. Car rien n’existe, hors ce qui se consomme dans l’instant. Car rien n’est grave, hors le ricanement cynique. Monsieur Hessel est juif? Qu’importe! le voici taxé d’antisémite parce qu’il s’intéresse à la cause palestinienne! Monsieur Hessel a été déporté? Qu’importe! Hier, c’était hier! Monsieur Hessel encourage l’indignation? Qu’importe! Il a 92 ans! C’est dire! Et le reportage de nous bercer d’ironie sépia jusqu’à endormir nos neurones bien fatigués.
C’est dur la résistance! Combien de temps encore serons-nous hors d’atteinte de cette implacable machine à laminer la pensée?
Image de L’angoisse liée à l’inondation de Brisbane empruntée ici
Image d’Amélie empruntée ici
Oui, la formule ressassée « la vieillesse est un naufrage » identifie nos petits marquis à dents ripolinées sur les écrans qui font l’opinion.
Le déchaînement actuel contre Stéphane Hessel (et accessoirement son petit livre à grande diffusion) est significatif d’une lourde gêne : comme un chien dans un jeu de quilles qui dérange l’ordre habituel des choses.
Quand on entend Sarkozy (et Fillon qui a fait la leçon sur « l’indignation » !) parler de « barbares », on ne l’a pas encore vu apostropher ainsi le Président tunisien à cause des dizaines voire des centaines de morts dans son pays en proie ces jours-ci à un soulèvement généralisé.
Le gouvernement français ne « s’indigne pas » de la situation, là-bas, où MM. Frédéric Mitterrand et Bertrand Delanoë ont leurs habitudes, et pour lesquels il ne saurait s’agir d’une véritable dictature qui jette peut-être soudain ses derniers feux.
MAM dort sur ses deux oreilles (Kouchner a été débarqué à temps).
Bravo pour cet article.
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Combien de temps resterons nous hors d’atteinte de cette machine ? Tant qu’elle fonctionnera, et tant que les cyborgs télévisuels se permettront leurs ignobles sarcasmes. On résiste, et on résiste encore. Bravo à Stéphane Hessel, et bravo à vous pour cet article. Quel que soit votre âge… :°))
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Quelle santé dans ce billet !
Écoutons donc la radio, les reporters n’ont pas besoin de mettre des bottes pour prouver qu’il a plu, et que les inondations sont vraies, et ils ne crient pas.
M. Hessel ? A lire avant la classe terminale, si possible, que dire d’autre ?
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Bien bel article. Oui, les flux de langage nous assaillent et nous traversent sans cesse, pas de place pour le silence. imaginons un silence au cours d’un débat télévisé, il y aurait « faute », un blanc, vous vous rendez compte? Quant à la réception de Stéphane hessel, ilest vrai que se produit un phénomène intéresssant: les médias ont mis un certain temps avant de réagir (et les politiques aussi), ils ne savaient pas comment le prendre. Au début, on a donc vu un concert de louanges. Et puis la machine s’est inversée… on avait trouvé le truc: le « amélie-pouliniser », tout ça couronné par la tribune d’un « jeune » de l’UMP hier dans « le monde », qui, c’est un comble pour l’UMP, prône… l’engagement plutôt que l’indignation! Sartre, que Hessel dit admier, doit se retourner dans sa tombe…
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