En 1946, J.P.Sartre prononçait à la Sorbone une conférence sur « La responsabilité de l’écrivain ». Publié aux éditions Verdier, le texte de cette conférence est contemporain du célèbre « Que peut la littérature? »
Voici l’extrait d’un article de Bernard Fauconnier dans Magazine littéraire de janvier 1999, à propos des réflexions de Sartre sur l’écrivain: homme libre engagé, qu’il le veuille ou non, par son simple rapport au langage.
« Qu’est-ce que nommer ? » Tout est affaire de signes : « On pense que nommer, c’est effleurer, effleurer la chose sans lui faire de mal. » Or le regard, dans la prose, « traverse le mot et s’en va vers la chose signifiée ». La conception sartrienne du mot est au fond assez mallarméenne, mais, appliquée à la prose, cette conception « chosifie » le mot et lui confère un statut d’objet – d’objet actif, de force en marche qui transforme le monde puisqu’elle le dévoile. Et d’évoquer ce passage de La Chartreuse de Parme dans lequel le comte Mosca, voyant s’éloigner Fabrice et la Sanseverina s’écrie : « Si le mot d’amour vient à être prononcé entre eux, je suis perdu. »
La responsabilité de l’écrivain, c’est cela : l’écrivain est engagé dans son rapport au langage. Nommer n’est pas innocent. Nommer, c’est choisir. La justification de l’acte d’écrire se trouve dans cette conscience de l’engagement, qui est aussi postulation de liberté, de liberté concrète. L’écrivain est un homme libre qui s’adresse à d’autres hommes libres. Que cette liberté soit opprimée, ou que l’écrivain choisisse de se réfugier dans l’art pour l’art… »
Illustrations de ce billet:
Hans Holbein le Jeune, Érasme écrivant, 1523. Huile sur panneau, 42 × 32 cm. Département des peintures, musée du Louvre, Paris. |
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Ibrahima Bari (ici avec une signature usurpée- cela existe!), Soweto, Musée de Labé, Guinée-Conakry |
Le tableau d’Ibrahima Bari est à la fois terrifiant et émouvant, il évoque l’écrivain sud africain André Brink dont j’ai lu récemment « Etat d’urgence » une magnifique histoire d’amour dans le contexte révolutionnaire de l’apartheid.
Nommer c’est choisir, toutes les vérités ne sont pas toujours bonnes à écrire, et à faire lire, la pudeur existe t-elle en écriture?
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Oui, c’est cela. André Brink apparaît très vite.
Je crois que oui, la pudeur existe en écriture, comme dans tout autre domaine. Mais tout peut être évoqué si le respect de l’autre est là. Et trop souvent, le désir de provocation l’emporte sur ce respect.
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Un billet important. Le mot est matière, presque palpable. Liberté, choix et engagement…
Mais l’anecdote de la signature usurpée rend un peu grincheux. C’est dans ces moments-là qu’il faudrait que le mot « médiocre » soit capable de faire disparaître la médiocrité rien qu’en la nommant.
Kiki
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Bien dit et si bien vu…
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Ne serait-ce que « nommer » Sartre (dont on effaça, dans un geste significatif, la cigarette sur la photo des affiches de la BnF, lors de l’exposition qui lui fut consacrée en 2005, pour l’anniversaire de sa naissance) est déjà un « engagement ».
Car Sartre n’est définitivement plus en cour, il ferait beau voir !
Pourtant, il nous manque particulièrement, en ces temps de régression.
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Ah! C’est vrai? On avait effacé la cigarette de Sartre sur l’affiche?
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Très émouvant ce rappel sur la Responsabilité de l’écrivain. Je ne sais pourquoi mais l’illustration de Ibrahima Bari me fait penser à ce passage des mots de Sartre : Sur un mot du chef de la bande, brutalement jeté: « Avance, Pardaillan, c’est toi qui feras le prisonnier », j’aurais abandonné mes privilèges. Même un rôle muet m’eût comblé; j’aurais accepté dans l’enthousiasme de faire un blessé sur une civière, un mort. L’occasion ne m’en fut pas donnée: j’avais rencontré mes vrais juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me condamnait. […] « Qu’est-ce que tu attends, gros benêt? Demande-leur s’ils veulent jouer avec toi. » Je secouais la tête: j’aurais accepté les besognes les plus basses» je mettais mon orgueil à ne pas les solliciter.
Peut-être la même souffrance : l’exclusion.
Pierre R. Chantelois
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Selon la Bible, « nommer » est une forme de pouvoir de l’Homme sur la Nature. Dès lors que l’Homme a « nommé les animaux », il a pris le pouvoir sur eux.
« Man gave names to all the animals, in the beginning, long time ago »
Bob Dylan
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Si même Bob Dylan le dit!
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Est-ce un effet d’écho que d’être renommé?
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