Les lecteurs de ce blog connaissent déjà Nathalie Hegron. Ils ont lu sa nouvelle pleine d’humour « Le cri du kangourou » dans la série des textes consacrés aux « cafés du monde ». Nous découvrons à présent la deuxième partie d’une autre nouvelle reçue grâce à Internet. Il s’agissait d’emprunter le thème de »l’empreinte » proposé à l’atelier d’écriture de Denezières. Merci à Nathalie que nous aimons beaucoup lire, pour ce récit.
Sous le papier peint
Nathalie Hegron
Au début des années soixante-dix, mes parents décidèrent de faire construire. De toute façon, ils ne pouvaient plus rester en location. Avec l’arrivée du quatrième enfant, le besoin d’espace devenait crucial. Mon père dessina donc une maison et fit corriger les plans par un architecte. Dès qu’elle fut construite, il se lança dans les peintures et tapisseries. La mode était alors aux papiers peints à motifs floraux et nous n’y coupâmes pas. Le long couloir transversal du rez-de-chaussée, se vit affublé d’une tapisserie où, sur un fond blanc cassé, s’épanouissaient d’énormes fleurs orange vif.
Une décennie plus tard, il advint ce qui doit advenir de la plupart des choses connaissant un grand engouement à une époque : à nos yeux, le papier peint était devenu horrible. Pas à ceux de mes parents, pour qui d’ailleurs changer la tapisserie n’était pas une priorité.
Une autre décennie s’écoula et il fut de nouveau question de la changer. La fratrie s’y opposa farouchement. Les fleurs étaient rongées par endroits par nos hamsters successifs que nous lâchions parfois dans ce couloir, quand le chat courait le guilledoux. J’avais appris à marcher dans ce couloir, en m’appuyant contre ces murs fleuris. Nous y avions fait des concours de glissades, du patin à roulettes, etc. Bref, criarde et pas de tout repos pour la vue, cette tapisserie était trop chargée de souvenirs pour qu’on osât y toucher. On frôlait la relique et donc le sacrilège…
Au fil des années, toutes les pièces ont été retapissées ou repeintes. Toutes, sauf ce couloir dont la tapisserie restait en l’état.
Cinq ans plus tard, la retraite arrivant, mes parents vendirent la maison. Nous nous sommes tous réunis pour l’occasion. Afin de dédramatiser la situation et également par tradition familiale. Plutôt que d’être tristes, nous décidâmes de rire de ce que nous laissions derrière nous. Notamment de cette tapisserie, que nous qualifiâmes de collector et à laquelle nous attribuâmes une valeur marchande largement supérieure à celle de la maison. Nous cherchions la date exacte de sa pose, en interrogeant du regard ma mère. A notre plus grande surprise, ce fut mon père qui répondit :
« – oh, je m’en souviens très bien de la date, c’était en 1974. J’écoutais, en préparant les murs à être tapissés, un disque de Brassens. La chanson qui se passe au marché de Brive-la-Gaillarde, Hécatombe, me donna une idée. Un moment les commères font crier au vieux maréchal des logis « Mort aux vaches! Mort aux lois ! Vive l’anarchie ! ».
Convaincu par le parolier, j’ai recopié ces vers sur les murs en ajoutant « La commune refleurira » et « Mort aux bourgeois », histoire d’être plus exhaustif. Je pensais à la tête que feraient mes enfants, petits-enfants ou arrières-petits-enfants en découvrant cela lorsqu’ils décideraient de décoller le vieux papier pour changer de décor. Ce ne sera pas le cas, d’autres découvriront ces mots, mais je crois que ça fera son effet quand même! »
Ainsi donc, comme pour les défunts du Père-Lachaise(*), une des empreintes les plus surprenantes que mon père laissera, n’est pas celle qu’il imagine – si tant est qu’il y pense – ou que j’imagine moi-même.
Car les arbres qu’il a plantés autour de la maison et devaient marquer son passage ne pousseront pas autant les nouveaux propriétaires à s’interroger sur leur présence que ces quelques petites phrases griffonnées sous le papier peint dans un moment d’enthousiasme.
Illustration 1 : papier peint
Illustration 2: graffitis sur arbres des quais parisiens
(*): La première partie du texte de Nathalie est consacrée à une réflexion au cours d’une flânerie dans les allées du cimetière du Père-Lachaise. L’intégralité du texte pourra bien sûr être lu ultérieurement.
Un plaisir, ce texte !
Et des interrogations nouvelles : pourrons-nous regarder un ancien papier peint sans nous demander si quelqu’un a écrit derrière… et quoi ?
Kiki 🙂
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Nous en revenons à » objets avez-vous une âme ? » thème d’une dissertation (en 3ème) qui m’avait valu un 16/20! Que te dire Nathalie? je suis heureuse que tu continues à écrire pour notre plaisir, et constate que tu es la digne fille de ton père!
Amitiés.
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Cette irrésistible envie de laisser des traces relève sans doute de réminiscences enfantines où jeux de pistes et courses aux trésorx émaillaient notre imaginaire. Cette histoire de papier peint est touchante, la saga familiale qui va avec également.
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Vraiment Chantal, ce blog très actif est une chouette idée de partage et d’échanges!
Cela permet, au delà de l’atelier, d’avoir des retours et de pouvoir lire les textes des autres.
Posuto, je suis allée voir, sur les conseils de notre Bloggeuse, votre – ou ton? – (on donne du TU ou du VOUS sur le web? le seul manuel de bonnes manières que je possède, fut donné au pensionnat à ma grand mère dans les années 20 et traite plus des situations dans lesquelles on doit retirer ou garder ses gants que de l’usage d’Internet) blog qui est vraiment très amusant. Une forme d’esprit que j’aime bien.
Un petit mot pour la Reine… des collines turinoises (ça te suffit comme royaume ou il faut le prolonger au delà du fleuve, jusqu’au pallazzio Madama peut-être ou, soyons un tantinet plus ambitieuses jusqu’en Camargue?) : ton espièglerie me manque.
Merci également à Totem dont j’ai bien apprécié le suspens du récit l’Aiguille et qui présente de très belles photos sur son blog.
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