Ecriture aux champs: Chronique d’un atelier(1)

Juin 2007. Atmosphère.champs-de-fleurs.1181929875.jpeg

Il était une fois à Denezières, petit village du Jura de 89 habitants, un parcours nommé désir.

Sans tramway (1) pour y accéder, le goût d’écrire cependant conduit à sa jolie salle des fêtes (toujours ensoleillée grâce à ses chaises oranges et jaunes) que la municipalité prête pour l’occasion. C’est Sylvie Simonet, la libraire si accueillante de Clairvaux-les-lacs (librairie la Plume. Un vrai miracle qu’il y ait encore des librairies dans les villages!) qui a entraîné l’atelier jusqu’à Denezières où elle réside

Ce 14 juin 2007, à 18 heures, il pleut. Il pleut. Il pleut. Grisaille sur les verts plateaux jurassiens. Les fontaines sont ivres d’eaux turbulentes. Heureusement, il y a les chaises! (Pas celles de Ionesco, encore que…)

Les chaises oranges et jaunes de la salle des fêtes!

Une douzaine d’inscrits, devant arriver de Lons le Saunier, Saint-Maurice, Blye, Dijon, Bonlieu, Lyon…Mais seulement dix personnes assemblées pour cette première séance où il s’agit de faire connaissance, d’être à l’écoute des attentes et d’énoncer ce qui se produira au fil des séances: 6 prévues jusqu’à la mi-juillet.

Comme toujours, le public se partage entre ceux que l’école a meurtris et qu’ils ont abandonnée très tôt malgré leurs talents ignorés et d’autres, enseignants, psy, artistes, tous animés de ce même appétit de lecture et d’écriture, ayant parfois goûté aux voluptés de la création inspirée, puis s’en étant écarté pour quelque raison que ce soit.

Le grand défi pour l’animateur est de trouver le lien qui unit les participants afin de les amener à créer, sans recours aux techniques factices d’animation, sans recours à toute forme de manipulation de groupe. Bilan dans quelques semaines lorsque les productions éventuelles auront commencé à tisser des fils invisibles entre les uns et les autres.

Empreinte:

Dans cette première séance, il s’agit aussi de défricher le thème proposé cet été à l’atelier: à savoir, » l’empreinte. »

Que suggère spontanément la notion? Un tour de table pour recueillir les mots: une trace, un signe, une impression, un tableau, une frappe, un index, un pas, un dinosaure, une ride, etc…

C’est le moment de vivre une expérience d’écriture aléatoire en empruntant la méthode des « cadavres exquis » tant prisée par le mouvement surréaliste. Une forme d’écriture qui ne doit rien à la conscience et qui pourtant finit par s’ordonner autour de décalages:

– Chacun tire un petit papier plié qui recèle un des noms proposés ci-avant. On écrit alors en haut d’une feuille : qu’est-ce qu’une trace ? (en admettant qu’on ait tiré le mot trace)

ou qu’est-ce qu’un tableau? (en admettant qu’on ait tiré le mot tableau).

etc…

– Puis, on replie vers l’extérieur la question posée de manière à ce que le texte soit caché lorsqu’on passe cette feuille à son voisin.

– Il s’agit ensuite, de répondre à la question qu’on vient de poser. La réponse sera donc inscrite sur la feuille qui vient de vous arriver.

Le résultat est toujours déroutant, souvent poétique, en tout cas, évidemment décalé.

Et ce résultat sera produit prochainement sur ce blog. (En cours de frappe actuellement par l’un des participants).

Bref, en toute inconscience et en grand cafouillage (Faut-il cacher la question devant ou derrière? Quelle dimension de pliure? Est-ce que j’ai bien compris la consigne?), un poème collectif naît sous les yeux de tous.

Les chemins menant à l’écriture sont ainsi, multiples et variés.

On évoque déjà, à travers la présentation d’eux-mêmes, que font les acteurs de l’atelier, cette attitude erronée qui consiste à ne se prêter aux pratiques créatives que lorsque l’inspiration est au rendez-vous. L’inspiration, un mythe qui a la vie dure. Inutile de prétendre renverser les croyances lors d’une séance initiale. Mais le doute, peut-être, est distillé…

Quand la potière crée des empreintes:

Le village de Bonlieu, à quelques bottes de sept lieux de Denezières a la chance d’héberger une potière, Carole Minary. Je vous la présenterai mieux un autre jour, à travers un conte et une visite à son atelier. Mais aujourd’hui, pour la circonstance, elle a apporté avec elle, une plaque d’argile molle et un maillet présentant à sa base une sculpture en relief. Un pression du maillet sur la plage d’argile et apparaît une sculpture en creux sur la plaque.(reportez-vous au site d’Hérodote : 3300 avant J.C.)

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Première empreinte.

Carole feuillette à présent son carnet de recherche: pages où elle dépose feuilles et morceaux d’écorce. Elle montre les matières différentes, les creux, les bosses. Elle révèle, tracée par un insecte sur une brindille, une écriture en filigrane .

Deuxième, troisième empreintes…

Carole, donc, sait lire l’écriture des arbres, des insectes, de la nature qui l’entoure.

Ecriture?

J’ai bien dit: écriture.

Quand les empreintes se diversifient:

Empreinte: jalon de la mémoire…

La lecture des troncs coupés avec leurs anneaux trahissant leur âge, le tracé des rides d’un visage, les méandres du jardin, qui a envie de parler de quoi?

Empreinte: celle laissée par un index trempé dans l’encre.

Qui a envie de se faire détective?

Empreinte: celle des mystères de notre identité génétique.

Qui a le souhait d’explorer les chemins de la science ou de la fiction ajoutée?

L’empreinte: celle écologique qui définit nos besoins vitaux

Qui se fait défenseur des causes essentielles?

Bref!

Le thème de notre écriture aux champs est déchiffré.(Je voulais dire défriché, bien sûr.)

A vous de jouer.

La semaine prochaine, nous essaierons de revivre ce moment inénarrable de l’histoire du monde où naît l’Ecriture après le très long règne de l’oralité. Non pas pour nous égarer, mais bien pour vivre plus pleinement la naissance de cette écriture singulière que nous portons en nous: la trace de notre passage, notre propre empreinte.

(1) Evidemment allusion au livre Un tramway nommé Désir (A Streetcar Named Desire), pièce de Tennessee Williams, jouée pour la première fois en 1947, et pour laquelle il a remporté le prix Pulitzer en 1948.

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4 commentaires sur “Ecriture aux champs: Chronique d’un atelier(1)

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