Atelier d’écriture

J‘avais promis la semaine dernière de répondre à la question de Motpassant reprise par Posuto sur le déroulement de mes ateliers d’écriture. Peut-être que ce texte, proposé en préface à la plaquette réalisée lors de l’atelier de Vienne (Autriche), peut en donner une première idée.

Qu’est-ce qu’un atelier d’écriture ?

Certainement pas un hangar où l’on fabrique des livres, comme l’énoncé de l’activité pourrait le laisser croire, mais plutôt, disons, un « espace-temps » où se partageraient des intérêts divers sur l’écriture… dans tous ses états.

Si la métaphore de l’atelier renvoie sans surprise aux lieux où s’élabore la toile du peintre ou s’érige l’œuvre du plasticien, se polit l’objet artisanal au beau milieu d’un fouillis d’outils, d’images de copeaux volants, d’odeur de térébenthine, de modèles en train de poser et d’apprentis au travail…. Il paraît encore bien surprenant d’user de ce champ lexical pour évoquer l’espace choisi par l’écrivant afin de passer à cet acte d’écriture qui fonde sa démarche.

C’est que le mythe de l’écrivain, du grand écrivain, est immense dans notre culture, mythe lui-même inscrit dans cette conception selon laquelle chacun doit exercer le métier pour lequel il est fait. Comme une prédestination professionnelle. Seule, donc, une vocation initiale permet ainsi d’oser s’aventurer dans l’exercice particulier de l’écriture, pratiquement d’essence divine et que l’Inspiration stimule au gré des muses rencontrées, des paradis artificiels ou des gouffres à explorer pour « cueillir du nouveau ».

On oublie trop souvent que l’encre couchée sur le papier, pour être sans nul doute projection de l’esprit, est d’abord substance, matière, forme en devenir, au même titre que la glaise ou la texture des couleurs et qu’il y a correspondances à établir entre les pratiques multiples visant la production créative. Or, il va sans dire qu’il n’existe pas de préjugés sur le fait de s’inscrire à un cours de peinture, de danse, d’harmonie ou d’art plastique mais que c’est tout autre chose dès qu’il s’agit d’écrire : C’est un lieu commun d’affirmer que l’art d’écrire ne s’enseigne pas.

Tant pis pour le mythe écorné, bien sûr que si, l’écriture se travaille, au même titre que toute autre activité humaine.

 

Que fait-on dans un atelier d’écriture ?

Contrairement à ce que l’on peut imaginer, il y a beaucoup d’«oral», dans un atelier d’écriture. Ce n’est pas le moindre paradoxe. L’atelier redonne tout son poids à la voix, à l’énoncé oral. Pour ma part, j’essaie toujours de commencer l’activité du groupe par la lecture du magnifique texte de Kadaré sur les origines de l’écriture. Ce texte est tiré de l’ouvrage « La légende des légendes ». Il s’agit de nous replonger dans la longue histoire de la transmission des récits, de nous sentir à l’aise dans cette chaîne qui ne peut qu’imposer une attitude d’infinie modestie car Kadaré avec beaucoup d’humour et de poésie nous fait prendre conscience de ce qu’a représenté l’immensité de l’oralité. L’écriture tient si peu de place au regard de l’aventure humaine et combien pesante, matérielle et encombrante son apparition s’est-elle montrée !

Dans un atelier, donc, on lit, on échange et croise des références. On peut dire qu’en premier lieu, on développe son aptitude de lecteur. On lit aussi ce qui est produit hors rencontre, « dans la solitude et le silence » (comme l’énonce si bien Charles Juliet), si l’auteur, bien entendu en est d’accord.

Dans un atelier d’écriture, bien évidemment, on écrit. Mais la plupart du temps, donc, en dehors de l’atelier lui-même. Surtout ne pas reproduire l’atmosphère de la contrainte scolaire! Il est évident qu’aucun atelier ne transformera quiconque en écrivain professionnel, mais l’apprivoisement des différences au sein du groupe, amène la plupart du temps les participants à être portés par le groupe et à aller au-delà de ce qui a été conçu dans la solitude. Car la mise à distance si nécessaire, s’opère alors. Il est ainsi très rare qu’un participant refuse que son texte soit lu. Pourtant il le peut tout à fait.

Dans un atelier, enfin on réfléchit, à partir d’exercices, à la mise en forme d’un projet, que ce soit la transcription de la réalité ou de l’imaginaire. On revisite par exemple des typologies de texte et l’on se pose des questions:qu’est-ce donc que la « machinerie » du conte? de la nouvelle? du roman? Mais suffit-il d’appréhender les coulisses de l’écriture pour pouvoir écrire soi-même? Sait-on de manière sûre ce que l’on va écrire dès que l’on aborde la fiction ?

 

Ainsi, dans la plupart de mes ateliers, je propose un programme afin de donner quelques repères à ce qui pourra être abordé dans le déroulement de l’activité.

La première partie de ce programe se fixe comme objectif de donner quelques outils pour naviguer du désir d’écrire à la formulation d’un projet d’écriture, (choisir le genre, par exemple), tandis que la deuxième permet d’envisager de manière concrète, le passage du projet personnel à la réalité de l’écriture. (comment gérer le temps d’écriture, etc..). Dans la conduite de l’atelier, les deux axes sont intimement mêlés afin de ne pas souscrire à une démarche théorique a priori. Chaque atelier demande en effet une adaptation à la dynamique qui s’instaure et non pas une manipulation du groupe que l’animateur chercherait à conduire là où se trouve sa vérité personnelle.

Pour faciliter le passage à la réalité de l’écriture, il est souvent proposé, dès la première séance, un thème assez large comme, « Vienne, la rencontre des cultures », ou « Cafés du monde », etc…à traiter et à mettre en lecture commune quelques mois plus tard. De cette manière, le cheminement dans les coulisses de l’écriture à travers l’atelier, trouve éventuellement son aboutissement dans cette mise en lumière que constitue la rencontre avec un public potentiel.

Encore une fois, chaque participant est libre de souscrire ou non au thème proposé.

Pour ma part, j’essaie toujours, dans chacun des ateliers que j’anime, d’amener les participants à éprouver chacune des étapes qui jalonnent le chemin de l’écriture. Le questionnement, la gestation, l’idée du projet, l’entrée dans la réalisation, la matière sur laquelle on travaille et retravaille, la contrainte formelle, la fabrication de l’ouvrage, la mise en lumière par une rencontre avec le public.

Ainsi, la route est libre qui permet de continuer, pour soi-même ou dans d’autres parcours d’ateliers, l’aventure de l’écriture éprouvée, et, comme tout écrivant, de s’en arroger le statut, hors des mythes et paillettes, en toute légitimité.

Chantal Serrière

9 commentaires sur “Atelier d’écriture

  1. Merci d’avor si bien décrit les difficultés mais aussi les espérances de joie qui font de l’écriture un art permettant de partager, de s’exprimer, de s’extérioriser. Je suis de ceux qui essayent, mais souvent découragé par un manque de confiance, je ne vais pas au bout de mes projets.

    Cependant quelque part vous m’aidez beaucoup.

    Et même sûrement !

    Si vous saviez le temps que j’ai mis pour écrire ce message !

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  2. Le présent commentaire n’est pas une réaction au présent article mais intervient en réponse au petit mot sympathique que vous avez déposé sur mon blog.
    « Timeo danaos et dona ferentes » disaient les Anciens ! Ainsi reçois-je votre compliment. Un cadeau empoisonné (attendez, ne vous fâchez pas !) puisque qu’en cliquant sur votre nom (pour savoir à qui je devais tant de générosité), je tombe sur cet espace tapissé de livres et je sens que je n’ai pas fini d’y flâner. Il va me falloir prendre sur le temps qui me manque, voire différer encore l’heure du coucher.
    Je vous tiens d’ores et déjà pour responsable des cernes inesthétiques qui me défigureront et qu’une incorrigible coquetterie (plus qu’une bonne acuité visuelle) m’interdit de cacher sous des lunettes.
    🙂
    Merci et à bientôt.
    C

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  3. Oui, merci Chantal d’avoir pris le temps de mettre en ordre et en perspective toutes les facettes de cette acte d’écrire ! Je comprends mieux à quel point cette pratique en atelier est complexe et combien ça doit être enrichissant. Et je sens aussi toute l’importance de la communication et de l’échange. (ce qui semble exclure l’existence d’un atelier d’écriture virtuel ! Tiens, que pensez-vous des jeux d’écriture que l’on peut pratiquer sur le site des Papous dans la tête ? J’aime le principe, mais je n’ai jamais osé y participer http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture/forum/ )
    En tout cas, ce que je retiens, c’est votre façon d’appréhender l’écriture comme un façonnage, un modelage de la matière, et j’aime beaucoup cette vision des choses ! Quel plaisir de passer ici.
    🙂 Kiki

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  4. Merci pour ces précisions , cela m’a déjà tenté mais …

    j’adore cette partie  »
    On oublie trop souvent que l’encre couchée sur le papier, pour être sans nul doute projection de l’esprit, est d’abord substance, matière, forme en devenir, au même titre que la glaise ou la texture des couleurs et qu’il y a correspondances à établir entre les pratiques multiples visant la production créative. »

    Pour moi l’ écriture c’est les pulsions de notre inconscient . Tu devineras que je suis fan de Breton, Bachelard , Artaud, Mallarmé, Nietzche …

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  5. Motpassant: je crois que vous êtes très modeste. Mais c’est une si belle qualité qui permet en écriture des écrits non affectés, c’est-à-dire sincères, donc très attachants pour le lecteur.
    Comment faites-vous donc pour animer un autre blog, si clairement présenté? (je n’ai plus la référence au moment où j’écris, mais il faudra la donner). Est-ce parce que vous n’êtes plus « au four », que vous savez si bien prendre le temps de « moudre votre propre grain », je veux dire d’être à présent « au moulin », bien sûr. Puisqu’il est bien connu qu’on ne peut être aux deux à la fois! En tout cas, bravo.

    A Cowboy: Votre texte du « Petit chose » était si lumineux. En même temps argumenté dans la dérision de tout un système, drôle et si tendre par l’évocation. J’ai beaucoup aimé.
    Pour les cernes inesthétiques, si ça se trouve, notre ami « Lunettes rouges », qui donc arbore, lui, ses montures avec fierté, pourrait peut-être vous les prêter pour vous les faire adopter.

    A Posuto: Merci pour l’adresse. J’avoue mon ignorance, je ne connaissais pas ces Papous-là. Je connais bien celui de la Joconde dévergondée dans « Passez-moi la Joconde »,blog.fr, mais pas les vôtres. Magnifique de pouvoir découvrir d’autres Papous dans notre jungle quotidienne. Merci encore. Comme quoi il est tellement utile de communiquer, ainsi que vous le disiez dernièrement!

    Et à Bruno, ah oui, certainement, l’écriture, comme recueil des pulsions de notre inconscient. Et aussi, le regard et la distance par rapport à ce recueil qui est la matière à façonner ou à livrer brute, si l’on préfère. Mais la transformation est toujours passionnante, voire exaltante.

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  6. (Tous ces échanges sont d’une telle finesse… je crains de n’y laisser l’empreinte de mes gros sabots! )
    Merci pour cette explication lumineuse (et décomplexante!) sur les ateliers d’écriture, activité qui me sembait, a priori, un peu obscure et réservée aux talentueux « à vocation ». Vous donnez envie d’essayer.

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  7. En fait l’atelier d’écriture en France semble
    -soit réservé aux élus, un peu comme une société élitiste et secrète
    -soit consacré à l’activité des derniers de la classe, puisqu’il est admis qu’on ne peut devenir écrivain, on naît avec le don d’écriture comme on naît avec une petite cuiller en or dans la bouche.
    Les « petites gens du monde ordinaire » seraient exclus de ces hautes sphères.
    Bien sûr, cela existe, avec gourous et tous les travers imaginables, mais souvent, heureusement, on est à mille lieux de ces tristes réputations.
    Nos amis anglo-saxons ont de très belles leçons à nous donner sur ce sujet

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  8. Que de coeur à l’ouvrage dans vos ateliers d’écriture. Cent fois sur le métier on doit y peaufiner des morceaux de pensées faites de pleins et déliés.
    La parole dit les mots, les mots s’assemblent en phrases, l’écriture prend corps en pétrissant le texte jusqu’au vernis du livre et au bonheur de lire.

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