CAFES FIBONACCI(4) par Pilar Lluch, suite.

Cafés Fibonacci

 

 

 

 

Écran 8 an10.1171834502.gif

Je suis là dans la salle des écrans du Parc des Princes. C´est la salle des contrôles du public. Les vigiles ont une quarantaine d´écrans devant eux. Les caméras balaient lentement la pelouse les gradins, les entrées, les guichets, les vestiaires, les couloirs, les coursives, les toilettes. Tout est filmé.

Sur l´écran Numéro 8, le vigile de service reconnaît Marc Lamour qui se dirige vers la tribune des Vips.

À côté d´eux un agent de sécurité en civil, bien connu aussi des services de police. Il s´agit de Granomort. Derrière se tient le jeune supporter Quenemeur et trois de ses amis. Sa fiancée en tenue de supporter, casquette, maillot noir et rouge est à peine reconnaissable sous le maquillage de guerre. Ils rient et se bousculent. L´image des huit silhouettes se brouille un instant et s´immobilise. Arrêt sur image : le visage du jeune Quenemeur. Avec une expression fugace, attrapée par la caméra. Ses yeux montrent une sorte de nostalgie, une tristesse subtile. Sentiment de peur, de mélancolie… comme une envie d´être ailleurs, envie de surfer la vague à Biarritz ? Sentiment attrapé au vol par cette caméra, telle un oeil froid et distant, paradoxalement si révélatrice. L´image disparaît. D´autres personnes passent devant l´impitoyable Big Brother.

 

 

Écran 13 an10.1171834502.gif

Le Café des Colonies, c´est mon refuge après les matches. J´y mange quelques plats de là-bas, bien piquants, et le patron me sert un punch.

Je suis sorti avant la fin du match pour éviter la cohue. Je prends un verre ici, au Café des Colonies à deux rues du Stade. Le patron est parisien de la Martinique. Il me surnomme Ratuvennabuen, c´est du verlan, on dirait du créole ou même du malgache…et ensemble on se tord de rire quand il me raconte ses histoires drôles de là-bas, des Antilles.

Le match est terminé, le PSG a perdu ! La rage se déchaîne dans les gradins de la tribune Boulogne qui brûle de colère contre le Hapoël. Les gradins se vident. La foule sort lentement. Les forces de police quadrillent les sorties. Ça se bouscule. Les supporters du PSG sont canalisés mais on entend des injures proférées contre les gagnants.

Peu à peu la foule se déplace comme un organisme vivant sur les trottoirs, puis les groupes se diluent. Quelques zones autour du stade restent agitées. Un groupe se déplace devant le Café des Colonies. Je note le regard de Jean Granomort en direction d´un petit groupe de cinq jeunes supporters du Hapoël. Ils courent pour éviter la foule de 21 puis 34 personnes puis 55, 89, 144, 233 enragés. La horde sauvage se rue sur ces jeunes en criant, en crachant des cris de haine raciste. Les canettes de bière, des pierres pleuvent. La meute pousse, bouscule, devient un monstre, un rhinocéros gigantesque et incontrôlable.

J´entends des injures :

Granomort fonce. Il ne laissera pas la situation empirer. Il doit aider ce gamin qui va être lynché si personne ne fait rien. Il essaie de calmer les enragés avec des mots. Intention dérisoire ! La meute s´en prend à lui. Lui qui porte la marque des îles sur son visage. Son père avait dit un jour « Tu te vengeras des crimes des violents. Tu défendras et protégeras les faibles. Tu as une dette à payer. Tes ancêtres ont été torturés. Tu défendras ton frère de l´injustice et de la violence ». Ces mots qu´il comprend aujourd´hui dans la douleur ne le quittent plus.

Il est à terre. Les cris de haine et les coups pleuvent comme autant de lances tranchantes et empoisonnées, blessantes. La spirale du malheur est en marche et rien, rien ne peut l´arrêter même pas toi, Buenaventura, avec ton Nikon. Moi, Buenaventura, je me précipite pour voir, pour comprendre le chaos.

Granomort piétiné prend son arme et tire en l´air pour sauver le gamin, pour se défendre. Un deuxième tir. On le bouscule encore. Tout est confondu dans la bataille. Il tire à nouveau. La foule des chiens hurlants se paralyse. Un homme est par terre, étendu dans une flaque de sang. Il est mortellement blessé. Je reconnais le jeune supporter du Café. C´est Quenemeur !!!

– Il est blessé ! Hurle sa fiancée.

– Arrêtez !

– Ce salaud l´a tué !

– On aura ta peau sale nègre !

La horde aveuglée par la haine et par la peur d´être arrêtée commence à paniquer aussi. En se dispersant, les agresseurs brûlent, cassent, anéantissent les vitrines, les voitures, les arbres, la rue, les passants. Chargés d´adrénaline ils détruisent, ils brûlent tout sur leur passage.

– Laissez passer l´ambulance !….

– Police, Police !

Je suis sorti du Café des Colonies. Là, c´est mon boulot. Il faut témoigner de cette violence gratuite. Une photo, une autre, deux, trois, cinq, huit, treize, vingt et une, trente quatre….

Je n´arrête pas…je suis épuisé de dégoût.

Marc Lamour est en état de choc.

La suite… dans les médias, les journaux. Sur l´écran des ordinateurs apparaît la tragique nouvelle.

Dépêche d´agence :

Dans la nuit du 23 au 24 novembre 2006 un groupe de supporters de la tribune Boulogne tente d´agresser un supporter israélien après la défaite du PSG par 4 buts à deux face au Hapoël Tel Aviv en coupe UEFA.

Un supporter des Boulogne Boys est tué, un autre blessé au poumon par un policier en civil au moment des faits et qui s´était interposé pour protéger les supporters du Tel Aviv.

 

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