Noli me tangere: ne me touche pas

Noli me tangere, ne me touche pas: La célèbre formule ne rejaillit-elle pas dans notre actualité brûlante?

Tirée de l’Evangile selon St Jean, la scène montre Marie-Madeleine, agenouillée, à la recherche du Christ dont le tombeau est vide. Sursautant à le voir apparaître, elle est si étonnée qu’elle n’en croit ni ses yeux, ni ses oreilles et le prend tout d’abord pour un jardinier. Revenue de sa méprise, elle tend alors la main pour toucher ce revenant d’entre les morts. Mais Jésus la repousse en prononçant ces paroles: Noli me tangere, c’est-à-dire, ne me touche pas .

Noli me tangere, Fra Angelico, 1440-41)

Pourquoi donc ces mains tendues qu’un espace sépare à jamais? Les savants ont à cet égard rivalisé d’exégèses. Qu’aurait-il pu se passer si Marie-Madeleine avait touché la main du Christ? Quel danger lui aurait-elle fait courir qu’il sait à temps éviter par le verbe? Et de quel danger pouvait-elle être, elle aussi, menacée? Comme on le voit, bien que totalement éloignée de son contexte original, la scène si souvent illustrée par les peintres à travers les siècles, semble pourtant traduire nos pratiques nouvelles issues des recommandations sanitaires les plus officielles afin de contrer la très redoutable épidémie de Covid-19 qui sévit à travers le monde entier… Ne me touche pas. Reste à une distance d’un mètre et la contagion ne passera pas.

Noli me tangere, Retable des Dominicains, Musée Unterlinden de Colmar, photographie lavieb-aile mai 2016.

Noli me tangere: ne me touche pas,
Retable des Dominicains, Musée Unterlinden de Colmar, photographie lavieb-aile mai 2016.
extrait du magnifique blog de Jean-Yves Cordier

Ainsi, à la faveur de cette grave crise sanitaire qui sévit aujourd’hui, voici qu’apparaît de façon récurrente, l’expression« distance sociale » pourtant peu usitée jusqu’alors.

E.T. Hall, comme je le rappelais dans mon article précédent, et comme le soulignait fort judicieusement l’article du Monde « Coronavirus : P comme « Proxémie » » du 23 mars 2020, avait en son temps rassemblé dans son ouvrage « La Dimension cachée », une partie de ses travaux portant précisément sur la relation entre la distance observée par deux individus en situation de proximité et la culture environnante. Pour ce faire, il s’était intéressé à l’organisation des files d’attente à l’arrêt d’un bus, par exemple, ou des queues pour obtenir tel ou tel rendez-vous. Culture du nord, aux espaces interindividuels plus larges que ceux du sud où sans attitude malséante, il est même possible de se toucher sans sans provoquer une réaction d’agressivité.

file d’attente, photo empruntée à Wikipedia

Inventeur du terme « Proxémie », que l’on peut définir comme l’organisation de l’espace quotidien par les hommes au sein d’une société donnée, selon des codes culturels inconscients, nul doute qu’il se serait vraisemblablement passionné pour l’intérêt grandissant du grand public à l’égard d’une notion rarement évoquée jusqu’alors. Mais là où les observations ds chercheurs de Palo Alto portaient sur les différences remarquées d’une culture à une autre, voici codifiée de façon universelle et légitimée par la science (cf les recommandations de l’OMS), la distance pouvant/devant exister entre deux personnes: un mètre. On ne se touche donc pas.

image empruntée ici

En deçà d’un mètre, il ne s’agit plus d’un acte de proximité indécente, ni de transgressions effrontées, ni simplement de l’ignorance d’une règle tacite de bonne conduite à l’intérieur d’une société, mais bien du franchissement d’une ligne rouge, sacralisée puisqu’elle sépare la vie de la mort annoncée.

tableau emprunté à Wikipedia dans son article sur la mort.

A un mètre de votre interlocuteur, vous aurez la vie sauve. A moins d’un mètre, vous risquez de la perdre et de vous transformer vous-même, en assassin potentiel.

Peut-on véritablement parler ainsi de « code social »? Ne devrait-on pas plutôt parler de code sanitaire ou même de code réglementaire d’évitement social? Car il ne s’agit plus, en effet de respecter le bon usage transmis de générations en générations, ce rituel ordinaire d’espacement entre individus totalement pratiqué hors du champ de la conscience individuelle et qui fixe la chorégraphie des comportements collectifs propres à une culture Il s’agit, au contraire d’une soumission à un nouveau code régi par la peur. Que cette peur soit légitime ou non, là n’est pas la question. La peur est d’abord peur de l’autre, vecteur d’un poison mortel que la proximité rend agissant. La peur, alors, dicte sa loi. La peur, alors, est incantatoire: Reste à distance d’1 mètre. Ne me touche pas.

Le lazaret d’Ancône est un bâtiment du XVIIIe siècle construit sur une île artificielle pour servir de station de quarantaine et de léproserie à la ville portuaire d’Ancône (Italie). emprunté à l’ article :https://fr.wikipedia.org/wiki/Distanciation_sociale

Mais plus tard, bien plus tard, lorsque les hommes auront oublié la grande pandémie de l’année 2020, lorsque le souvenir d’un virus portant couronne et sceptre mortifère se sera estompé, le fait de se tenir à 1 mètre de son interlocuteur deviendra-t-il un rituel totalement inconscient, marqueur généralisé de distance sociale sur tous les continents? La peur aura disparu et avec elle les raisons de nos comportements adaptés répétés à l’envi par la force de l’habitude. Aurions-nous sous les yeux et en temps réel, le fondement d’un rite sociétal régissant pour quelques temps encore l’organisation proxémique d’une culture planétaire? Quel beau champ d’étude pour Hall, Bateson et tous les autres membres du Collège Invisible de la célèbre Ecole de Palo Alto.

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