De la vie des mots: 1. psychose

.

Le mot « psychose », littéralement en grec, « anomalie de l’esprit », apparaît en 1845 sous la plume de l’Autrichien Ernst von Feuchtersleben. Il s’agissait pour lui de regrouper sous ce néologisme, un ensemble de troubles psychiatriques sévères désignés jusqu’alors par le mot « folie, parmi lesquels, une perception plus ou moins modifiée de la réalité, des hallucinations ou des délires accompagnés ou non de crises violentes.

Résultat de recherche d'images pour "douche psychose"
Photo du film d’HItchcock, relevéé sur ce site

En s’éloignant du mot folie à forte connotation anxiogène et péjorative dans son acception populaire, le terme de psychose est cependant tout autant générique, recouvrant, comme en son temps le vocable folie, un large éventail de pathologies, c’est à dire « toute expérience délirante ou aberrante exprimée dans les mécanismes complexes et catatoniques de la schizophrénie et du trouble bipolaire. En outre, une grande variété de maladies liées au système nerveux central, causées par des substances étrangères ou des problèmes physiologiques, peuvent produire des symptômes de psychose. »

Or depuis l’apparition du coronavirus actuel, les médias emploient largement le terme de psychose pour qualifier le comportement du public. On remarque ainsi dans le discours oral : « Ne créons pas de psychose », « l’attente du stade 3 génère une psychose latente », ou dans les sous-titres apparaissant dans les bandeaux qui défilent en permanence sous les images: « Vers une psychose face au virus ? »,  » La psychose d’une pénurie », Le coronavirus crée la psychose », etc…on décèle aisément la distorsion sémantique.

SARS-CoV-2
Image emprunté à Sciences et Avenir

En effet, en réagissant aux informations concernant la menace d’une infection par un virus inconnu, la population (dans un sens général), contrairement à un épisode psychotique, s’inscrit totalement dans le principe de réalité. Pour se défendre de l’attaque virale, lorsqu’elle ne trouve pas le gel hydroalcoolique recommandé par les autorités, elle peut éventuellement en voler, comme elle peut de même dérober des masques à sa portée dans certaines officines médicales.

Certes, on est loin d’un comportement social fondé sur une éthique intériorisée et visant à permettre la survie du groupe. Ce qui compte à ce stade pour l’individu, c’est d’abord et avant tout le maintien de sa propre survie en adaptant le mieux possible, même en dehors des codes établis, ses besoins immédiats à la réalité d’un virus potentiellement mortel .

Même chose lorsque sont rapportés des comportements agressifs dans les transports en commun. Continuellement abreuvée de recommandations officielles, la population a saisi qu’il faut que chacun respecte une distance d’au moins un mètre pour éviter la transmission du virus et qu’il est nécessaire de se laver les mains en descendant du tram ou du train à l’aide du fameux gel hydroalcoolique. Le principe de réalité s’incarne une fois encore dans un comportement adapté au respect de du territoire, ici imposé par les autorités..C’est bien ce qu’on a expliqué à la population: « Vous devez être à un mètre de chaque personne. » Alors, on joue des coudes, on bouscule qui se trouve devant, qui se trouve derrière, on invective qui résiste. D’un point de vue éthologique, l’agressif ne fait que reproduire les réflexes archaïques indispensables à sa survie et au maintien des espèces. Respect du territoire! Respect de la sauvegarde de la bulle individuelle. Hall et

l’Ecole de Palo Alto, ne disaient pas autre chose dans leurs travaux sur la proxémie. Rien d’étonnant, donc, ni de pathologique. Et pas plus étrange ne le serait une réelle ruée sur l’approvisionnement. Mêmes réflexes archaïques absolument nécessaires à la continuité du règne animal.

Il ne faut donc absolument pas parler de psychose pour évoquer la notion de peur aiguë susceptible de provoquer des comportements ingérables pour l’ordre social, cela n’a aucun sens. Je le répète, la psychose est un état psychique en éloignement du réel. On peut certes parler d’une éventuelle peur, d’angoisse, de crainte. Encore une fois sans connotation péjorative et sans qu’il soit besoin de soi-disant rassurer une population dont le ressenti sera amplifié. » Qu’est-ce qu’on nous cache, à vouloir nous rassurer? »

L’explication du glissement sémantique, réside probablement dans l’anticipation (par les médias ou les autorités) de réactions potentiellement démesurées aux regards des réels dangers à affronter. D’où le franchissement de cette ligne ténue qui sépare la réalité de l’irréel et pourrait conduire à la psychose dans sa véritable acception: « On nous dit que ce n’est pas grave, alors pourquoi agissez-vous comme si c’était grave?. »

L’ambiguïté des réponses comportementales est directement issu des injonctions paradoxales. Merci Margaret Mead!

Portrait de Margaret Mead

Sur les messages en bandeau sur les chaînes d’info continue):

  • N’ayez pas peur d’envoyer vos enfants à l’école.
  • Fermer les écoles permet de freiner l’épidémie.

Ce sont des injonctions déstabilisantes! Certes, on a compris la réponse adaptée au cas par cas. Mais il n’en reste pas moins que le discours n’est pas cohérent. On a compris aussi que l’incertitude domine. On ne connait pas ce virus ni ses conséquences ( sanitaires, économiques et sociales) que sa diffusion va produire en France et dans le monde entier.

Enfin, comme ce coronavirus est nouveau et reste encore énigmatique sur bien des aspects pour les scientifiques, malgré les avancées récentes, rien n’est pire que l’incertitude pour la foule en attente. Or l’incertitude, jointe aux informations contradictoires est susceptible de générer des comportements individuels de défense parfaitement adaptés à la menace sous-jacente, mais incontrôlables pour les autorités, que ce soit dans l’actuelle incoordination des pays ou au niveau de chaque individu composant la multitude…

Ce n’est donc pas la psychose collective qu’il faut craindre, mais l’information non adaptée, source de « bruits » et d’inévitables replis identitaires.

Ensuite, reste à soigner les victimes du coronavirus…mais c’est une autre histoire.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s