« Notre vérité de maintenant, ce n’est pas ce qui est, mais ce qui se persuade à autruy : comme nous appellons monnoye non celle qui est loyalle seulement, mais la fauce aussi qui a mise« . Cette citation empruntée à Montaigne semble avoir été inventée pour illustrer notre actualité.
La métaphore de la monnaie, prendre la fausse pour la vraie et vice versa, en deviendrait presque comique par le fait de renvoyer au jeu des illusions auquel nous participons tous les jours. Et la vérité dont parle Montaigne , à défaut de surgir du puits, se dévoile donc à force de scepticisme à l’égard des mots, du choc de ces mots et des images que les grands medias contemporains véhiculent à notre intention. Ainsi, plus que de la rumeur , se méfier des annonces, petites ou grandes, vraies ou fausses, des prédictions bonnes ou mauvaises. Certaines peuvent faire mal, très mal dans l’exaspération ambiante et depuis l’aube des temps! .
Je parle ici des annonces effectives, dument rédigées, écrites noir sur blanc. La croyance populaire (et pas seulement populaire) accorde tant de crédit à la chose écrite! Terrifiantes annonces lorsqu’elle sont porteuses de nouvelles catastrophiques, comme ce 9 juin dernier où un quotidien rapportait un attentat à Alger qui aurait fait 20 morts. Tout aussi épouvantables lorsque la bonne nouvelle qu’elles véhiculent est infondée telle la une affirmant la fin de la guerre en Irak dans une édition pirate du New York Times, ce mercredi 12 novembre 2008.
On parle de canular . Si le canular est « une mystification perpétrée dans l’intention de tromper ou de faire réagir celui qui en est la cible« , alors, le but est atteint. On peut employer le terme. Mais la définition de canular comporte une autre face: « Sa caractéristique première est d’ être humoristique. Il s’agit de faire rire aux dépens de ceux qui l’ont cru« . Est-il juste, dans ce cas de qualifier le procédé de canular? Qui, en effet, en dehors des auteurs, a ri de la mystification?
Parlera-t-on alors de désinformation? La désinformation lorsqu’elle atteint ce niveau, lorsqu’elle joue sur les émotions des foules, ne va-t-elle pas au-delà de la catharsis du rire? N’est-elle pas déstabilisatrice, propice à toutes les manipulations dont la Communication érigée religion, est si friande ?
Plus que jamais les mots lus dans la pléthore des écritures qui nous sont données à parcourir, semblent être sujets à cautions: Interprétation de la crise financière, querelles de personnes au sein de partis politiques, mise en scène des symboles dans les manifestations commémoratives, tout ce que nous lisons chaque jour de la comédie humaine dans laquelle nous évoluons, constitue le manuscrit
qu’il convient d’authentifier (vérité ou canular?), de corriger selon notre propre grammaire, d’appréhender selon notre jugement singulier, notre bon sens, en un mot, notre talent, afin de ne pas être les marionnettes de ce grand théâtre d’illusions.
Tableau de Debat-Ponsan, élève de Cabanel. Il s’engage dans la lutte pour la réhabilition du capitaine Dreyfus, en exposant au Salon de 1898 sa Vérité sortant du puits. Ce tableau sera offert en souscription à Émile Zola.
Photo de l’édition pirate du New York Times empruntée à l’article de l’Express
Votre analyse sur le chose écrite est intéressante, au moins cet avatar du NYT aura-t-il eu l’intérêt de poser la question de la communication de l’information.
Si effectivement il faut qualifier cet écrit de canular, alors le même qualificatif doit être adopté à toute la communication du gouvernement américain pour justifier la nécessité de la guerre.
Dans les deux cas malheureusement il manque l’envie de faire rire.
Mais au moins ce type d’intervention permet peut être de poser la question d’admettre l’intervention de la coalition dans la classification des crimes contre l’humanité.
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Je suis tout à fait d’accord.
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Superbe.
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Le canular a-t-il une vertu pédagogique? cela me parait plus intéressant à poser comme question que celle de savoir s’il doit faire rire. Or, je crois que oui. Je me souviens qu’à Grenoble un groupe (de « l’ultra-gauche », dirait MAM!) avait sorti une fois un faux numéro du magazine du Conseil Général où il annonçait qu’une carte numérisée universelle allait être mise en place sous peu et que tous les Grenoblois devaient se dépêcher d’aller la demander en mairie… bien sûr il y eut affluence, mais surtout ce faux fut un excellent moyen de faire réfléchir à l’impact des nouvelles technologies sur nos libertés.
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Au-delà de l’événement en soi, n’eut-il pas été extraordinaire de lire que la guerre en Irak est réellement terminée ? Soupir ! L’événement en soi, maintenant, révèle une évolution intéressante des mentalités en Amérique : le Patriot Act n’est plus une menace pour quiconque ne partage pas ou plus le point de vue présidentiel. Autre soupir !
Pierre R.
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Peut-être l’expression d’un désir refoulé?
Il y a des canulars tristes comme certains matins.
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J’aime bien la formule de jeandler parlant de « canular triste ».
Et c’est vrai qu’on peut apprécier la fin d’une époque plus qu’étouffante comme le souligne Pierre Chantelois.
Je suis assez d’accord avec ce que dit Alain. Mais alors, c’est la révision de la définition du mot canular qu’il faut effectuer ( cf la reprise du « dict. historique » dirigé par Jean Rey « blague, mystification plaisante ». Le mot est d’ailleurs assez récent, puisqu’il a été inventé par les normaliens de la rue d’Ulm au début du XX° siècle, à partir de l’argot « canuler » lui-même issu de canule (petit tuyau formant l’extrémité d’une seringue), par dérision et allusion au désagrément humiliant et comique de l’utilisation de l’objet.
Nulle part, la vertu pédagogique n’est associée.
Elargissons donc l’acception de « canular » ou inventons un mot?
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En marge de ce brillant billet, celui qui s’acharne à démonter les manipulations médiatiques, c’est l’éternel Daniel Schneiderman, viré de la télévision, qui opère aujourd’hui à son compte sur le web
http://www.arretsurimages.net/index.php
C’est souvent redondant, on frise parfois l’indigestion médiatique, mais c’est éclairant.
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