L’écriture a-t-elle une forme?
Quand nous étions enfants, nous avons appris la forme des lettres. Nos pleins et déliés étaient encore tracés à l’encre, du bout de nos plumes Sergent-Major…Mais mon billet du jour n’est pas là pour susciter la nostalgie, l’odeur de l’encre fraîche dans les encriers de porcelaine blanche! Notre écriture, donc, s’appelait « la ronde ».
Tout un programme! Toute une histoire! Il faudra revenir à l’histoire de la calligraphie, justement. Mais un autre jour.
Ce que je voulais évoquer ce matin ne renvoie pas à la calligraphie, mais à la manière de dire, en posant les mots, les phrases sur le support qui les accueille, le papier, le carnet, l’écran. Pour parler simplement, on aurait pu dire: le style.
Ainsi, Annie Ernaux, parlant de son style, le qualifie elle-même « d’écriture plate ». On dirait encore « écriture blanche ».
« Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art,[…] Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L’écriture plate me vient naturellement, celle-la même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents… »
« C’est Roland Barthes qui a instauré l’expression d’ « écriture blanche », dans Le degré zéro de l’écriture (1953), pour désigner un minimalisme stylistique caractéristique de la littérature d’après-guerre. Cet événement formel, il l’observe chez plusieurs auteurs qui s’imposent dès les années 1950 : Albert Camus, Maurice Blanchot, Jean Cayrol. Mais la formule reste valide pour décrire une bonne part de la littérature contemporaine, non seulement dans le domaine romanesque, de Henri Thomas à Annie Ernaux, mais aussi dans d’autres genres, voire même dans d’autres arts. Il faut entendre l’ « écriture « blanche » comme on parlerait d’une voix blanche, c’est-à-dire sans intonation, dans une sorte d’absence énonciative. Barthes la définit comme une écriture « plate », « atonale », « transparente » ; plus encore, comme ce qui, dans le style même, nie la littérature : une écriture « alittéraire », « une absence idéale de style ».
passage emprunté Ici
Marguerite Duras nous a initiés à cette rigueur de l’écriture débarrassée du souci de la « belle écriture »: Celle qui fait vibrer nos violons, celle qui nous exalte, celle qui emprunte le cliché sans mise à distance, celle qui multiplie les clins d’oeil au lecteur, celle qui pirouette, celle qui adore l’emphase, bref, celle, loin de la bienséance, loin de la tentation de l’épure jusqu’au vertige. Celle, à des années lumière d’une écriture kitsch, en somme, qui est pourtant celle que nous pratiquons tous les jours parce que le kitsch, en définitive, c’est la vie. Aussi. Et que nous sommes vivants.
Alors, assumons sans honte le choix de la forme de notre écriture: la plate, la ronde, la kitsch? La vôtre, tout simplement.
Pour illustrer ce propos, cliquer sur http://en.zappinternet.com/video/nilSqaMboM/HISTORIA-DE-UN-LETRERO
envoyé par Nathalie Hégron. Vous vous souvenez, l’auteur de « Cri du kangourou ».. .
un message envoyé, comme par hasard, au moment où j’écrivais ce billet.
Image n°1 empruntée au blog « Encre violette «
Curieusement à moins que ce ne soit paradoxalement, la seule chose qui ne me rend pas nostalgique à la lecture de ce billet c’est l’odeur de l’encre dans laquelle j’ai trempé ma plume au sobriquet militaire pas plus tard qu’hier…
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L’époque a l’écriture qu’elle mérite, n’est-ce pas?
Le style, ce n’est pas celui ou celle qui écrit, c’est l’époque.
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D’accord avec vous, jeandler, mais restent tout de même des « figures » de style. Pour ce qui est de l’époque récente (et aussi, plus modestement, de ce que je connais mieux…) Céline, Simon par exemple sont de sacrés coquins! Un fichu bloc, d’emblée, s’impose au dessus de la mêlée!
Je n’ai pas lu le livre d’Annie Ernaux mais le blanc est-il plus blanc? Je plaisante, bien sûr; il va sans doute falloir faire soi-même son opinion. Nous verrons alors ce que nous jouissons du texte, pour reprendre une formule de Barthes.
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el video sobre el pobre siego (ciego) es muy potito (bonito); y es que todos somos un poco siegos (los mexicanos no saben pronunciar bien la c ni la z, carajo), tantos días espléndidos que no vemos, tantas frases que no sabemos construir, tantas cosas que no sabemos decir, coño….
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L’écriture a également le style de ce qui est donné à lire entre les lignes, dans le blanc, et que chacun décrypte comme il le perçoit.
Que ces lignes soient rondes, plates, blanches ou kitsch, l’impact de l’encre sur le papier, la forme du tracé, le bruit feutré de la cursive, sont d’une sensualité que jamais n’égalera le curseur.
Le stylet était cet instrument qui gravait les signes sur les tablettes de cire.
Un côté pointu pour écrire, un côté plat pour effacer.
Une partie du style serait donc, parfois, la faculté d’effacer, de dire autrement, d’affiner.
Merci pour cet article foisonnant et merci à Totem de me l’avoir renseigné.
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J’ai beaucoup appris avec ce post. Merci.
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Pour en revenir à A. Ernaux, je ne suis pas allée au bout de son dernier livre. J’avais beaucoup aimé Les armoires vides et La place, son analyse d’un milieu social. Là, pour le dernier, je crois que c’est également une question de génération car pour moi, les faits évoqués ne font pas échos à des souvenirs.
Et à propos de style, avez-vous lu « Le boulanger français de Chengdu » ?
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Je crois qu’il est difficile d’établir une sorte de « code » qui serait la mesure de toute écriture valable ou recevable. Ecriture blanche, mais aussi écriture rouge, ou verte (à la André Breton), écriture multicolore ou en clair-obscur…
Heureusement, comme le dit Dom A., qu’il y a eu des Céline, des Simon, des Jarry, des Prigent, des Lautréamont, des Rabelais, etc. pour montrer que l’écriture est avant tout création personnelle et non respect d’un dogme.
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Il y a aussi cet article :
Mais entre la neutralité blanchotienne et l’indifférence camusienne, quels points communs ? L’écriture « neutre » d’Annie Ernaux et l’écriture « courante » de Marguerite Duras relèvent-elle d’un même projet ? Peut-on faire l’hypothèse d’une voix blanche, monodique ? Pratiquer l’écriture blanche, est-ce encore écrire sans faire oeuvre – sans souci de littérature ?
L’insistante diversité de ces pratiques et de ces questions nous a convaincus d’en tenter une analyse plus fine. Telle est l’ambition de ce colloque qui croisera les approches littéraires et stylistiques, confrontera la « blancheur » littéraire aux formes minimales en vigueur dans les arts plastiques et donnera la parole à trois écrivains qui se réclament de cette notion ou peuvent, à des degrés divers, se sentir concernés par elle.
C-F : http://remue.net/bulletin/TB020223.html
Et une écriture « Critique et Médicale* de mon cher prof.
Jean Starobinski qui a mis en œuvre une critique proche des textes et attentive aux aspects fondamentaux de l’expérience littéraire. Il s’est tourné vers les rapports de la littérature et des arts dans L’Invention de la Liberté (1964), Les Emblèmes de la raison (1973), Portrait de l’artiste en saltimbanque (1970), Largesse (1994). Sur quelques grands thèmes – L’usage et la dénonciation des masques, le don fastueux, la mélancolie – il a développé un comparatisme généralisé, qui ne souhaite pas séparer ses preuves de sa théorie.
C-F :
http://cmb.ehess.fr/document126.html
http://www.culturactif.ch/ecrivains/starobinski.htm
Chantal Votre article est passionnant. Merci.
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Et que dire de l’écriture automatique si chère à Breton?
Pour en revenir à Annie Ernaux, je ne crois pas , chère Nathalie H que ce soit une question de souvenirs. J’ai connu cette période et j’en ai bien des souvenirs évidemment. C’est précisément une question d’écriture qui m’a empêché d’adhérer au livre, trop plate, trop impersonnelle et qui donne un reflet très terne de cette époque. L’écriture dépersonnalisée, trop lisse, réitérative, sans humour en un mot.
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Vraiment merci à tous, Sandrine, Jef, Dom.A, Nathalie, D.Hasselman, Olivier, Oceania, Sopadeadjo, pour les témoignages et ces réflexions enrichissantes. Merci Sylvaine pour les renvois. C’est vrai, comme l’explique Jeandler, le rapport à la forme littéraire nous touche ou nous éloigne du livre entre nos mains. On peut apprécier un texte pour tant de raisons différentes! Nous y reviendrons…A samedi.
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