Strasbourg. Hier soir, 17h 30. Librairie Kléber.
Jean-Denis Bredin a la voix douce. Il s’excuse d’être là. Il demande pardon pour le verbe qu’il pourrait ne pas maîtriser, l’idée qui lui viendrait, susceptible de s’envoler ou sans rapport avec la question qui lui serait, plus tard, posée. Curieusement le public ne sent point d’afféterie ou alors un si grand art chez ce Maître de la plaidoirie, ce redresseur du tort fait aux offensés de l’histoire, Dreyfus, Cezneck, Charlotte Corday…. Son dernier livre paru chez Grasset ne parle pas des autres cette fois-ci, mais de lui, de l’enfance. Il s’intitule « Trop bien élevé ». Lui aurait souhaité que le titre fût « Excusez-moi ». Mais ses « amis éditeurs » l’en ont dissuadé. Alors il s’est rangé à leurs avis.
Jean-Denis Bredin est bien né. Dans ce carcan de bienséance qu’il décrit, où l’enfant n’a rien à dire tant que sa parole ne peut être supérieure au silence, le petit garçon des années trente apprend la politesse des gens de son monde. Il passe son temps à s’excuser. D’où l’idée du titre qui lui paraissait opportun. Et il s’excuse toujours. Il ne peut s’en empêcher. Comme l’expression d’une souffrance jamais apaisée. Rien n’y fait, ni l’art de l’éloquence savamment conquis sur celui de l’écriture obligée, ni la conscience aiguë de porter en soi l’héritage d’un si grand poids de culture…
Il s’excusera encore lorsqu’une dame qui a lu son dernier livre le félicite pour s’être si bien distancié de l’adulte qu’il est devenu pour retrouver à travers l’ouvrage, l’enfant qu’il était. Jean-Denis Bredin explique alors que l’exercice est en effet difficile. Nous nous racontons beaucoup d’histoires. Toujours les mêmes, fondatrices de notre mémoire. Pardon d’avoir pu déformer. Et le voici nous éclairant:
L’une de ses vieilles tantes, israélite (« dans ma famille on disait ainsi », précise l’écrivain), toujours habillée d’un long manteau noir d’astrakan portait pour la première fois l’étoile jaune. Tenant le petit Jean-Denis par la main, elle prenait ce jour-là le métro. En première classe, ajoute-t-il: « Je revois très bien la scène. La tache jaune sur le noir du manteau. Le bras tendu, la main qui tient la mienne. Et puis, l’entrée dans le wagon où plusieurs personnes se lèvent spontanément et offrent une place à la vieille dame. Je me suis raconté très souvent cette histoire. Je la trouvais belle. Et puis, en confrontant les dates pour écrire ce livre, je me suis aperçu que ma tante était morte 6 mois avant l’obligation pour les Juifs de porter l’étoile jaune! »
Je ne sais si chacun, écrivant ses souvenirs d’enfance, se prête à la même exigence. C’était en tout cas, en effet, et sur bien des plans, une très belle histoire.
Excusez-moi, à mon tour, cher Jean-Denis Bredin, de vous avoir volé un instant vos propos afin d’illustrer la complexité des regards que nous portons sur notre enfance, voire sur nous-même. L’écriture ensuite, et comme toujours, c’est justement une autre histoire…
La mémoire est une chose en harmonie avec le moment où on la convoque. le souvenir est toujours une actualisation du passé.
Très belle histoire, en effet, pour éclairer nos nuits.
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Lla mémoire qu’elle n’est ni chronologie ni exactitude. On n’aurait pas de souvenirs avant l’âge de cinq ans. Ceux que l’on est persuadé d’avoir seraient constitués d’histoires racontées incorporées à des impressions, sensations, et qui deviennent plus vrais que la réalité. Quand aux autres, les « réels », la réalité du souvenir a souvent peu à voir avec la réalité.
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« La mémoire n’est ni chronologie ni exactitude ».
Le texte trop pressé est parti avant correction.
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Magie de la chronologie et de l’exactitude…sous nos latitudes…
A l’heure où s’affiche le commentaire d’Albin, 21h 21, il est à ma montre 20h 42 et déjà Jeandler était présent à 20h 52 .
Magie ou vérification de l’horloge des ordinateurs ou des serveurs…
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C’est bien le serveur qui pose problème.
A qui se fier dans la chronologie des événements?
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Jean-Denis Bredin est de la classe d’un Robert Badinter. Il paraît que Nicolas Sarkozy a été avocat ?
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Quelquefois je fais le trajet à l’envers et essaie d’imaginer les souvenirs qu’auront les enfants que j’observe et avec qui je vis toute la journée…. se souviendront ils de ce qu’ils vivent là, il y a parfois des moments si forts dans la classe…
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C’est comme un souvenir de métaphore cette vision de cette femme très digne mais marquée du sceau. C’est peut-être le souvenir que l’on veut avoir des choses qui reste…
Kiki 🙂
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Oui, certainement. Le souvenir que l’on veut avoir de choses finirait donc par imposer sa loi. Assez inquiétant tout de même, cette relativité du témoignage. Cette manipulation inconsciente de notre inconscient!!!
En tout cas, un exercice bien difficile que de rendre compte de sa propre enfance!
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N’est-ce pas notre inconscient qui nous manipule?
j’allais écrire: tout simplement!!!
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En effet. Si simplement…
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