« Ce soir là, j’étais à table avec plusieurs expatriés chez le vétérinaire du village de Timbi Madina, dans le Fouta Djallon, région peuhle de la Guinée. Depuis un mois dans ce pays d’Afrique de l’Ouest à danser et filmer, je tentais de tâter le pouls d’une culture si loin de moi et d’une nation si chaotique. Je ne savais pas si j’aimais la Guinée. Je rêvais seulement de partir. Aller voir les mosquées d’argile et les peuples du Sahel, où , me semblait-il, j’y trouverais la carte postale National Geographic de l’Afrique de l’Ouest.
Mais ce soir là, mes pensées se sont envolées. J’avais autour de moi, des agronomes et des professeurs venus de France. Parmi eux, une femme. À l’aise, chez elle, libérée, heureuse, humble et discrète, Nadine Bari se rendait à Kankan, deuxième ville du pays, pour y donner des conférences sur la littérature africaine.
« Elle est donc écrivaine cette femme…me disais-je. Mais qu’est-ce qui l’emmène jusqu’ici en Guinée?
Et comment se fait-il que cette femme française parcourt ainsi le pays avec tant de passion et d’aisance?
Je suis restée avec elle le lendemain pour tenter de la connaître un peu plus. Je repartais vers Conakry avec trois de ses romans sous les bras… Ainsi commençait un tout nouveau chapitre dans mon voyage au coeur de la Guinée.
Grain de Sable, Noces d’absence et Chroniques de Guinée, m’ont tenu en haleine pendant trois jours. Au moindre bruit chez mon cousin, je sursautais. J’étais en train de découvrir une autre Guinée. J’étais en train de lire la terrible histoire de Nadine Bari.
Nadine a rencontré son mari guinéen Abdoulaye Djibril sur les bancs de l’université à Paris en 1957. Quatre ans plus tard, il se mariaient et allaient vivre en Guinée, nouvellement indépendante sous le chef de Sékou Touré.
Le jeune ménage avait plein espoir en la nation. Abdoulaye travaillait au ministère des Affaires étrangères, Nadine aux Nations Unies. Ils ont eu quatre enfants.
Mais Sékou Touré, ayant déclaré NON à la France, désirait abolir les ménages mixtes. Ainsi, il renvoyait les européennes mais gardait les enfants au pays. Devant ces pratiques, Abdoulaye et Nadine ont pris leurs précautions.
Prétextant une maladie au plus jeune des enfants, Nadine a pu quitter la Guinée avec toute la famille. Djibril, tenterait dans la même année, de fuir le pays lors d’un voyage diplomatique. Or, depuis le départ de sa femme, la police guinéenne rayait son nom des listes de fonctionnaires aptes à sortir pour les voyages d’Affaires étrangères.
Il tentera un départ clandestin. Mais sera arrêté à la frontière ivoirienne le 29 juillet 1972.
Depuis la France, Nadine, installée à Strasbourg où elle travaille comme traductrice au Conseil de l’Europe, fera de multiples démarches auprès des autorités politiques, religieuses et auprès des associations humanitaires afin de connaître la vérité sur le sort de son mari.
Manifestations, dossiers, rencontres avec des prisonniers européens libérés, création d’une association des Familles françaises de prisonniers politique guinéens, visites chez l’ambassadeur de Guinée à Paris, communiqués et lettres aux présidents de la République, Giscard-d’Estaing puis Mitterand, rencontre mémorable avec le dictateur Sékou Touré en visite à Paris…toutes ces démarches pendant treize années n’auront pas donné le morceau manquant du puzzle:
Qu’est-il arrivé à Djibril depuis la nuit de son arrestation à Beyla jusqu’à son interrogatoire devant le comité révolutionnaire dans la prison de Kankan ? Quelqu’un a ensuite donné l’ordre de transférer le prisonnier au camp Boiro, la prison de Conakry, la capitale. Comment se fait-il que parmi les prisonniers libérés, personne n’a aperçu Abdoulaye Djibril Barry?
À la mort de Sékou Touré en 1984, Nadine retournera en Guinée pour poursuivre l’enquête. Mais elle constatera qu’après tant d’années de dictature, les gens ont pris l’habitude de ne pas parler. Sans oublier que la moitié des tortionnaires et militaires sont au gouvernement du nouveau chef, Lansana Conté. Nadine réussira néanmoins à obtenir les actes de décès des maris de françaises de son association.
Mais pour Nadine, l’incertitude reste. Car sur la déclaration officielle qu’on lui remet pour Abdoulaye Djibril, le gouvernement guinéen ne peut reconnaître le décès de son mari. Il est Disparu, au sens militaire du terme.
Il faudra encore 7 ans à Nadine pour apprendre la terrible nouvelle. Et reconstituer le dernier voyage de Djibril.
Lors de son enquête sur le terrain, Nadine constate la désolante situation du pays, pourtant riche de ressources naturelles. Elle fondera son association Guinée-Solidarité , experte en expédition de matériel scolaire et médical dans les villages les plus démunis du Fouta-Djallon et de Haute-Guinée.
À chaque retour, elle s’attache au pays et décide de terminer les travaux de la maison, entrepris par Djibril il y a trente ans. Ainsi, elle retourne dans le quartier de Kipé, à Conakry pour y prendre sa retraite.
Auteure de plusieurs romans , Nadine est aujourd’hui considérée comme écrivaine de littérature africaine. De nationalité guinéenne, elle poursuit son combat au nom de la justice, encore aujourd’hui, sur les routes de Guinée.
Et puis un soir, à Timbi Madina, au Fouta-Djallon, elle rencontra une jeune cinéaste à sa table. Par son amour pour la Guinée, elle réussit à convaincre la voyageuse de rester encore un peu plus longtemps au pays et surtout d’y revenir plusieurs fois.
Par son histoire, par sa personnalité, Nadine a su toucher Catherine, qui, quelques jours plus tard à Conakry, lui demandera avec un bouquet de fleurs jaunes, si elle acceptait d’être le personnage principal de son prochain documentaire.
Il y a deux ans, commençait un long voyage: La Guinée est une Femme. »
Merci pour ce blog qui ouvre portes et fenêtres si largement sur cette personnalité frappante, ce parcours courageux.
Encore de nouveaux livres à se procurer, et pas des anodins.
(toujours penser à venir sur ce blog muni d’un papier et d’un crayon…)
Kiki 🙂
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hé, hé, maline la bloggeuse, l’énigme était quasiment introuvable pour le profane mais quelle belle découverte pour nous que cette femme et son histoire!
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bonjour,
J’ai eu l’occasion de rencontrer cette Dame à Conakry et je l’ai trouvé pleine d’humilité et de forces morales. A l’époque je ne connaissais pas son histoire mais cette Dame force le respect de par son action et son vécu. c’est mon petit témoignage.
Ce pays et ces gens, quelque chose d’indéfinissable.
mais quelque chose qui manque quand on quitte cette contrée.
indéniablement.
Merci pour cette petite lecture qui rend nostalgique.
amicalement.
Nicolas.
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