« Le Ventoux me rappelle l’Olympe«
René Char
On célèbre donc le centenaire de la naissance de René Char cette année. Né à l’Isle sur la Sorgue, au pied du mont Ventoux, il écrit : »le poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver.«
Pour tout dire, ce sont les magnifiques photos de fontaines prises par Jeandler dans son site « Pêle-mêle » qui m’ont donné l’idée de parler de René Char. N’avait-il pas en effet affirmé (« Partage formel »):
« Le poète tourmente à l’aide d’injaugeables secrets la forme et la voix de ses fontaines ».
Chacun pourra retrouver sur de nombreux sites le parcours de ce poète, son dialogue avec Héraclite, ses passions, son engagement dans la Résistance. Je m’attacherai ici plutôt à un regard sur son écriture porté par son ami José Corti. Si l’on se souvient, dans la lecture de ce blog, de la référence à l’écrivain Kadaré révélant dans « La légende des légendes » la matérialité de l’écriture, sa naissance laborieuse, les premières traces laissées sur les très modestes tablettes d’argile, nous retrouvons cette même conception du sillon gravé, du labeur dans l’apparition du texte écrit. Proche des surréalistes, René Char garde pourtant sa distance. Peut-être parce que l’écriture se situe pour lui non seulement dans le jaillissement du verbe, mais dans l’ensemencement, le geste du semeur (pour paraphraser le texte qui va suivre), c’est-à-dire, dans la matérialité évidente des signes et de leur reconnaissance.
L’écriture de René Char, vue par José Corti dans « Souvenirs désordonnés »:
« René Char est comme [Gracq] l’homme de la liberté et de la solitude, mais d’une solitude un peu apprivoisée ; il est aussi l’homme de l’approfondissement. Il creuse aussi droit qu’il peut, aussi loin qu’il a la force.
Autrefois, à Pernes, il se faisait des « concours de sillons ». Un vaste champ était offert à ce jeu de laboureurs. Ils arrivaient avec leur brabant, leur meilleure bête – on disait plutôt bête que cheval – et leur bon fouet tressé. La palme revenait à qui avait su tracer le sillon rectiligne le plus parfait sur la distance fixée – et elle était longue ! Char est de cette Provence où les paysans, par amusement, par délassement, se livraient à ces jeux de force et d’habileté. (…)
Char laboure. Il va droit, pesant de tout son poids sur les mancherons de sa charrue, pour faire rouler de chaque côté des versoirs luisants une terre vivante, grasse, riche et dont chaque motte révèle ce que cachent les herbes folles et les fleurs dont d’autres composent leurs bouquets.
Char, si serré dans son écriture, se livre dans la conversation, au lieu que Gracq, qui tire sur le Breton, fermé sur lui-même, ne s’abandonne que dans son œuvre. Char ne croit probablement pas beaucoup à l’inspiration ; mais, au hasard d’une rencontre, à l’aimantation des êtres et des choses. Il sait que le poète est un médium qui perçoit, sait le lieu et la prise. Quand il laboure, il pèse sur la terre ; il va toujours plus loin ; il revient sur le sillon autant de fois qu’il faut. Un manuscrit de Char est toujours la recherche de la dernière perfection. Quand on en est à l’impression, le repentir intervient : un mot, une inversion et le livre n’est pas plutôt achevé que se révèle ce qui aurait pu le parfaire. Tel poème de quelques vers n’a pas eu moins de sept ou huit états dont chacun a été définitif pendant quelques heures ou quelques jours. (…) »
Extrait de « Seuls demeurent« , écrits de 1938 à 1944 dans « Fureur et mytère« :
La liberté
Elle est venue par cette ligne blanche pouvant tout aussi bien signifier l’issue de l’aube que le bougeoir du crépuscule.
Elle passa les grèves machinales; elle passa les cimes éventrées.
Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l’alcool du bourreau.
Son verbe ne fut pas un aveugle bélier mais la toile où s’inscrit son souffle.
D’un pas à ne se mal guider que derrière l’absence, elle est venue, cygne sur la blessure, par cette ligne blanche.
Dans ce poème, l’ « issue de l’aube », le « bougeoir du crépuscule » recrée en nous ce clair-obscur des tableaux de Georges de La Tour. « Reconnaissance, écrivait encore R. Char, à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains ». Fragments 178 des « Feuillets d’Hypnos« , à propos du tableau « Job et sa femme, ou « Le prisonnier » .
A signaler, un très bel article sur « R.Char et la peinture » dans le numéro spécial de Télérama qui lui est consacré.
Bonjour Chantal,
René Char un grand poète , tient tu me donnes envie de le relire . Je suis souvent chez Pêle mêle qui, comme moi, partage le goût de la nature en prose Montaigne . Je te remercie pour tes mots .
Passe une très bonne journée
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La liberté advient par une ligne blanche
Qui marque les confins du jour et de la nuit ;
Elle passe la rive et la lisière franche,
Puis franchit le sommet que même l’aigle fuit.
Le lâche perd sa voix, le menteur son prestige,
Le bourreau va mourir en un dédale noir.
Près de la ligne blanche, une fleur sur sa tige
Danse pour annoncer la venue du grand soir.
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