Il y a quelque temps, sur ce blog, j’avais rendu publique une lettre adressée à Soumaïla, étudiant en 6° année de médecine au Niger. Il s’agissait d’un hommage posthume à son père, Issa, mon collègue au Ministère de l’Education de ce pays. Inspecteur de l’enseignement à Zinder lors de son dernier poste, Monsieur Issa, comme nous l’appelions, a trouvé la mort dans dans un accident de voiture sur la route de Niamey. J’avais, dans ce même texte, évoqué aussi l’immense désarroi des populations face à un système éducatif imposé par des bailleurs de fonds extérieurs et ne répondant plus à leurs attentes.
Je viens de recevoir une réponse de Soumaila à cette lettre.
Niamey, Niger, 22/02/07
« Chère Mme Serrière,
A propos du système éducatif au Niger, l’enseignement dans les langues nationales ne se réalisa jamais. Le système de «Double vacation», après quelques années fut remplacé sous la direction de la Banque Mondiale par un nouveau système quinquennal.
« Plusieurs classes et plusieurs écoles furent construites. Des volontaires furent recrutés pour enseigner à nos petits frères. Ah! Ces fameux volontaires, eux qui pour la plupart, ne pouvaient plus continuer leurs études après le brevet d’études du premier cycle, un emploi s’offrait à eux! Les anciens manuels d’étude qui avaient fait leurs preuves ont été remplacés par de nouveaux. Ces livres sont encore plus difficiles à faire lire et comprendre, car d’un niveau beaucoup plus élevé. Les élèves pouvaient en fin d’année réciter tout le contenu simplement en voyant les images imprimées sur les pages. Malheureusement ils ne pouvaient déchiffrer les phrases. Les volontaires eux-mêmes ne savaient le plus souvent comment s’y prendre pour les leur enseigner ; ils n’avaient aucune formation pédagogique. Quand bien même ils en auraient eu une, les cours n’étaient pas adaptés à la capacité intellectuelle de leurs élèves. Ce programme fut remplacé par un autre, cette fois-ci parrainé par les bailleurs de fonds européens, Le PDDE(Programme décennal pour le Développement de l’Education). Il gardait le même système que celui de la Banque Mondiale avec la différence que les volontaires s’appellent maintenant «Contractuels ». Ils signent un contrat renouvelable de deux ans avec l’ Etat nigérien. Les conseillers pédagogiques et les inspecteurs de l’éducation connaissent bien les failles de ce système, mais le changer n’est pas de leur ressort paraît-il. L’imposition vient du gouvernement qui lui même est sous ordre. Quelle sera l’avenir de l’école nigérienne ? Quelle compétence pour les travailleurs de demain ? L’avenir jugera, Mme Serrière.
Très chère Mme Serrière, le cadeau que vous venez de faire à ma famille et à moi n’a pas de prix. J’aurai voulu que vous voyiez la joie de maman quand je lui ai dit que vous aviez écrit pour rendre hommage à papa ou plutôt à « Baba »comme nous l’appelions mes frères et moi. En effet il vivait pauvrement, mais nous ne nous en soucions pas à l’époque. Il avait l’art de nous remonter le moral. Aussi, quand j’avais un problème il était le seul à s’en apercevoir.
Je me rappelle très bien de ce jour ou il était venu à la maison avec les verres de lecture que vous lui aviez donnés. Il était très content et les montrait à maman. Lui qui depuis quelques années ne lisait pas vraiment la nuit comme il avait l’habitude de le faire, s’acharnait dès lors sur la lecture qui devint son passe-temps favori. Il lisait et écrivait tous les soirs, surtout le week-end. Je suis vraiment surpris que vous sachiez que Baba marchait à pied sur de très longues distances dans la ville de Niamey, la plupart du temps, juste pour rendre service à quelqu’un. Tous les soirs, des gens venaient à la maison pour solliciter son aide. Il n’était pas riche, mais répondait à toutes des sollicitations car il avait beaucoup de connaissances à qui le plus souvent il avait déjà rendu service. Baba avait trop de charges. Malgré son statut de cadre A1 de la fonction publique nigérienne, son salaire ne suffisait pas pour joindre les deux bouts du mois; et ce, malgré le salaire de maman combiné. c’est qu’il avait les charges de toute la grande famille africaine.
Quand je pense encore à ces jours où on était tous assis silencieux dans le salon, à midi, car il n’y avait rien à manger, j’ai des larmes aux yeux. Baba, après longues hésitations, finissait par m’envoyer chez son ami du quartier, Mr Salifou, avec cette fameuse note qui commençait toujours par « Prière m’envoyer … ». Cependant Baba n’était pas le seul dans cette situation, car lui aussi recevait parfois une note semblable de la part d’un de ses collègues du ministère vivant dans le même quartier. Celui-ci envoyait aussi son fils qui était d’ailleurs mon camarade de classe à l’école primaire. Baba finissait presque toujours par dormir sur sa chaise quand nous suivions la télé le soir; et ce, malgré les deux tasses de café qu’il prenait sur place:c’est qu’ il avait marché toute la journée ! J’étais son compagnon les rares fois où il lui arrivait d’aller suivre un spectacle au Centre Culturel Franco-Nigérien sur invitation.
Il m’emmenait aussi parfois avec lui, quand il vous rendait visite Mme Serrière, ou bien chez les Guinamans. A la maison, on vous appelait « Baba ennassarai » (les blancs de Baba).
On recevait parfois quelques cadeaux de vous, comme les jouets de votre fille Coline que vous m’aviez envoyés ; c’était une joie.
En novembre 2001, nous étions à Zinder où Baba était Inspecteur de l’éducation (un poste qu’il occupa déjà à Niamey vers 1980) quand ma grand-mère paternelle décéda un vendredi à Niamey. Baba après avoir reçu l’annonce par un coup de fil au bureau, vint à la maison nous en informer. C’était une grande une tristesse. Je conduisis Baba, maman, et le petit Yasser qui avait juste 3 ans à l’autogare, dans la voiture de service de Baba. Il devait être là pour l’enterrement car c’était l’aîné de sa famille. C’est dans cette voiture de transport en commun que se produisit l’accident fatal qui coûta la vie à mon Baba un mois plus tard. Sa fracture ouverte de la jambe était soudée quand malheureusement il sombra brusquement dans le coma. C’est alors qu’on apprit par un examen de sang qu’il avait un diabète méconnu. Il survécut pendant une semaine à son coma. Son dernier jour de conscience était aussi un vendredi, mon oncle Boubé le surprit voulant descendre de son lit d’hôpital et l’en empêcha. Il servit à Baba le plat qu’il avait commandé la veille, puis lui donna un verre de lait. Baba le remercia pour tous ses services et le chargea de remercier ceux qui l’avaient soutenu, avant de boire au dernier moment son dernier verre de lait. Il disait sur son lit d’hôpital qu’il allait vous contacter car cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas eu de vos nouvelles.
Aussi, quand j’ai reçu votre aide financière le jour de mon anniversaire qui précédait de deux jours l’anniversaire de son décès, une joie m’emplit le cœur, car c’était comme un cadeau venant de lui; de mon Baba, Monsieur Issa, comme vous l’appeliez.
….
Amadou Issa Soumaila.
Bonjour,
Quelle magnifique lettre émouvante ( aux larmes ).
J’ai lu votre message tout à l’heure, et je voulais vous dire qu’à chaque fois vous me donnez une petite impulsion pour écrire et je vous en remercie.
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Oui, magnifique lettre émouvante et une belle force d’âme pour Amadou-Soumaila. Il a la grande chance d’avoir eu un Baba aussi bon et désintéréssé qui lui a ouvert, peut -être sans le savoir, la voie de la médecine. Je fais tous mes voeux à Amadou-soumaila pour son futur sacerdoce et je le complimente encore pour la rédaction de cette lettre.
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Que dire de plus ? Une grande émotion, c’est vrai, une histoire qui reste en tête, en tout cas dans ma tête alors que je ne suis qu’une simple lectrice spectatrice. Merci.
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http://niger1.com/actualitesnigerniameyagadez.html
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Merci à tous pour l’empathie.
Il me semble aussi qu’au delà de l’histoire et de l’émotion, il y a la lecture d’une Afrique différente de celle rencontrée à travers le quotidien de nos horizons médiatiques. Une Afrique debout, si riche d’une véritable sagesse. Les hommes et les femmes du Sahel sont ainsi. Les difficultés de la vie de tous les jours n’altèrent pas la dignité des populations.
Il y a aussi, dans ce témoignage, toute la problématique du rapport à l’écriture.
Quelle écriture? Qui l’enseigne ? Que lit-on dans les livres? Quels livres? Qui écrit? Pourquoi? Tout ce dont nous essayons de parler sur ce blog, en quelque sorte: L’écriture!
Et à quoi sert l’école?
L’Afrique, si lointaine avec sa relation exacerbée à la survie, ne pose-t-elle pas des questions universelles ?
Certes, cette Afrique pose nombre de problèmes et nous avons déjà tant de problèmes à régler dans notre propre monde!
Mais à bien les observer et à défaut de les résoudre, ses interrogations essentielles ne nous aident-elles pas à formuler les nôtres?
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Dignité, courage, entraide, que cette lettre est émouvante!
Quand je pense à tout ce gaspillage ici, à la facilité que nous avons à lire, écrire, se cultiver…ça fait réfléchir!
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Merci, a tous.J ai encore beaucoup à dire après toutes ces années…je ne sais par où commencer.
L étudiant de 7 ème année est devenue médecin, militaire et récemment spécialiste en ORL et chirurgie cervico-faciale.
Le système éducatif a continué à dégringoler au Niger…le niveau universitaire est au plus bas…et un nouveau phénomène d insécurité appelé terrorisme est venu dégrader tout le système aidé par une nouvelle maladie appelée COVID 19.
Mais en l avenir nous croyons encore.
Bon weekend à tous !
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Cher Amadou Issa Soumaila,
je suis contente de voir à quel point tu enrichis chaque jour tes spécialités. C’est incroyable! Bravo! De très sincères félicitations!
Nous sommes consternés par les nouvelles concernant le Niger. Tu as raison, croire encore en l’avenir grâce aux actions que nous menons au quotidien . Ne pas céder au découragement. Merci pour ton message.
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