Transcrire la mémoire familiale -3: Romanetta, une grand-mère corse

Le trésor de Margot

Certaines choses disparaissent. Des lieux s’évanouissent. Le séchoir à châtaignes n’existe plus. IMG_2745modrL’aire circulaire dévolue au vannage du blé par les ânes n’appartient plus au paysage.

Mais subsiste encore la maison des Padovani. L’église. Les maisons en pierres du village d’Ortale. Les rues menant aux terres en friches qui mènent à la rivière. « Là, où autrefois, nous allions laver le linge, dit Margot. Garçons et filles s’y baignaient, chacun leur tour. Se guettant derrière les feuillages ». Subsiste encore la mémoire de Margot. Mais comment était l’intérieur de la maison Padovani ?

Elle se souvient:

– C’était sombre. Il y avait une grande cheminée. Sur la poutre au-dessus du foyer, on déposait un long napperon en dentelle de papier que nous fabriquions. La maison était immense avec ses étages.IMG_2742modr

– Il faudrait raconter tout cela dans un livre…

– Des livres, dit Margot, je n’en lis pas beaucoup. Mais il y a quelqu’un de la famille qui a déjà écrit quelque chose. Il y a deux tomes. Je vais tout de suite vous les chercher.

– Non Margot, vous n’allez pas redescendre. Nous  allons avec vous.

Nos protestations restent lettre morte.

– Non, non, c’est très bien, il faut que je marche.

Margot repart chez elle. Ce n’est pas très loin. On peut voir sa maison, un peu plus bas. Mais tout de même, à 86 ans !

Déjà, la voilà revenue triomphante, deux précieux documents dans les mains:

Alain Paoli, Histoire de ma famille, tome 1, Ortale

Alain Paoli, Histoire de ma famille, tome 2, La famille de Corse.

Margot vient de nous livrer un vrai trésor. Dans ces deux volumes reliés par une spirale métallique blanche, se trouve toute l’histoire de la famille, toute l’histoire du village. Un travail documenté et précis comme une recherche universitaire. Voici l’ancêtre commun né au XVII° siècle. Il s’appelle Carlu-Francescu Padovani. L’initiateur de la recherche généalogique découvre au fil de son travail que Carlu-Francescu a eu (au moins) deux fils. L’un se prénomme Natale dont la descendance fait apparaître Marguerite, notre Margot sortie du temps. Le deuxième fils de Carlu-Francescu s’appelle  Carlu-Filicie. Sa descendance nous fait apparaître à notre tour, Pierre-Charles Depouilly, mon frère qui participe à ce voyage et moi, 7 générations plus tard.

Photos prêtées par Margot.

Transcrire la mémoire familiale -3: Romanetta, une grand-mère corse

Margot

Margot, sortie du temps, est venue à notre rencontre. Sans elle, qu’aurions-nous pu découvrir dans ce village aux fenêtres et portes closes? Il reste cinq habitants à Ortale, en ce début d’automne à la lumière voilée: les deux aubergistes, Margot et deux autres autochtones que nous ne connaîtrons pas. Nous venons de déposer nos bagages. L’auberge de l’Alisgiani domine le village et les chambres claires donnent sur la vallée et les sommets du versant d’en face. Le paysage est somptueux.

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– Nous ne sommes pas là par hasard, vous savez.

La jeune aubergiste est étonnée.

– Nous sommes à la recherche de notre arrière-grand-mère. Elle est née dans ce village, il y a très longtemps.

– Et comment s’appelle-t-elle?

Immense plaisir de prononcer le nom qui chante depuis toujours à nos oreilles.

– Romanetta. Romanetta Padovani.

La jeune femme sourit. Elle décroche le téléphone.

– Allo Margot. C’est moi. Je ne vous dérange pas? J’ai devant moi des clients qui cherchent une grand-mère née dans le village et qui a le même nom que vous…

Dix minutes plus tard, Margot, petite dame blonde alerte, quatre-vingt-six  ans, pénètre dans l’auberge.

– Alors  c’est vous qui cherchez votre grand-mère?

Nous expliquons. Notre trisaïeul gendarme venu du continent. Son mariage avec Romanetta. Le départ à Pila Canale où sont nés presque tous  les enfants: Joseph Napoléon, notre arrière-grand-père qui s’installera plus tard à Montceau-les-Mines, puis Marie-Madeleine, Françoise et enfin le petit Annibal décédé à Grossa, au sud de la Corse.

Nous énonçons notre projet de sentir d’une manière ou d’une autre la présence de Romanetta. Où habitait-elle? Comment vivait-elle?

Margot nous emmène sur la terrasse.

Maison Padovani Ortale
Maison Padovani Ortale

– Regardez. Voilà la maison des Padovani. Ils ont tous vécu ici. A vos pieds s’étendent les terrains des Padovani. Vous êtes même, en ce moment, sur un emplacement qui leur appartenait avant que l’auberge ne soit construite. A cet endroit, se trouvait un cercle autour duquel tournaient les ânes pour vanner le blé. Et, puis, là-bas (elle montre une étendue d’herbe), là-bas, tout au fond, insiste-t-elle, il y avait notre séchoir.

Là-bas, tout au fond, cependant, il n’y a rien.

– Votre séchoir?

– Oui. Le séchoir à châtaignes. C’était très important. Nous sommes dans la Castagniccia. La région vivait de cela. La récolte. Le séchage. La mouture. La farine de châtaignes était un aliment de base, ici.

Nous regardons l’espace envahi par l’herbe. Plus aucune trace du séchoir.

– C’est ainsi. Les choses disparaissent dit-elle.