Chocolat, une nouvelle d’Anne-Lise Taffin

Poursuivant le jeu des nouvelles sur le thème des « Cafés d’Europe, Cafés du monde« , Anne-Lise Taffin, qui est aussi céramiste, nous livre ce court récit inspiré non pas par le cadre de ces cafés dont nous parlons depuis décembre, mais par un des produits qui y est consommé avec gourmandise, un des plus recherchés – encore plus particulièrement dans les moments de pénurie, durant la guerre, par exemple- le chocolat!

 


CHOCOLAT
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– Moi, disait le vieil homme, je n’aime pas le bon chocolat. J’achète toujours le meilleur marché, celui qui n’a rien d’extraordinaire et je le mange d’un seul coup. Je ne voudrais pas que vous m’en offriez. Mon plaisir c’est de me l’acheter tout seul, de m’installer sur un banc et de le croquer là, en cachette, en regardant les passants.

C’était en été, le soleil de l’après-midi et les bruits lointains de la ville entraient par les fenêtres ouvertes de son appartement. II était assis dans son fauteuil en bois, m’observant de ses yeux noirs au regard d’or. II me suffisait de plonger dans ce regard et les histoires de mon enfance remontaient à la surface de ma mémoire, les images se bousculant pèle-mêle, se posant dans ma tête, devant mes yeux, dans mes mains et surtout dans ma voix, et je commençais à raconter, enchantée de toutes ces couleurs du souvenir et de l’attente dans ses yeux.

A la fin de la guerre, « chocolat » était devenu le mot magique pour désigner quelque chose que je ne connaissais pas et que ma mère me décrivait avec un petit sourire de gourmande sur les joues. Quelque chose de moëlleux, de fondant, de doux et de croquant à la fois. Couleur d’automne. Comme les marrons quand ils ont fait éclater l’écorce et tombent dans leur brillante fraîcheur à tes pieds. Sucre, miel, amandes, crème et cacao, pâte plus fine que les meilleurs gâteaux, tous ingrédients qui à part le sucre m’étaient étrangers, sans évocation particulière pour mon pauvre palais.

Je ne pouvais plus qu’en rêver, car je ne me souvenais pas de ce goût miraculeux que j’avais peut-être connu toute petite. Le mot chocolat était pour moi un conte, la clé ouvrant la porte qui mène tout droit au pays des merveilles.

A mon 6ème anniversaire j’avais reçu un paquet volumineux mais très léger de ma tante et de ma cousine Marguerite qui avait un an de PLUS que moi. Toujours un an de plus. De ce fait, elle était toujours privilégiée à mes yeux. Elle allait déjà à l’Ecole dont les portes s’ouvriraient enfin pour moi à la rentrée prochaine, grâce à ce chiffre magique qu’était le 6 ! Le mystère était complet. Tout le monde insista pour que j’ouvre ce paquet immédiatement. Et ma cousine avait bien de la peine à retenir son secret. Je m’appliquais. Les rubans et papiers volèrent. Il en gisait partout sur le tapis. Je sautillais. Le contenu devenait de plus en plus minuscule… Enfin, je découvris un rectangle dur, emballé dans du papier argenté qui tenait facilement dans la paume d’une de mes petites mains.

Dans un silence complet je le déballai. Tout le monde s’était approché et sous des ‘oh’ et des ‘ah’ je découvris… deux carreaux de chocolat!

Quand j’eus compris ce que c’était, je virevoltai et entamai une danse de joie et de rire autour de la table, m’arrêtant pour embrasser ma tante, ma cousine, ma mère, ma grand-mère et les autres. Nouveau moment silencieux et je goûtai le premier carreau en écoutant l’histoire de son étonnante odyssée Ma cousine avait reçu une rangée de ce délice comme goûter à l’école et avait décidé (ma tante y était certainement pour quelque chose !) de m’en offrir la moitié pour mon anniversaire.

Mais ce jour là, elle avait eu sa récompense. Petite fille un peu timide, elle rougissait de fierté sous les félicitations de tous et avait l’air comblé de bonheur par mes folles embrassades et ma joie débordante. Elle voyait que j’avais compris son idée de partager avec moi un petit coin de paradis …

Charlotte Ho/ 1989

 

5 commentaires sur “Chocolat, une nouvelle d’Anne-Lise Taffin

  1. En ces temps-là chocolat, oranges, bonbons étaient bien rares. Ma première orange, non c’était un citron bien jaune, je le dois à un GI qui en lançait de la tourelle de son char! C’était le 16 août 1944.

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