Dans le delta du Mékong (3): l’envoûtement

Le Mékong prend sa source dans l’Himalaya, au  Tibet, et parcourt l »Asie sur presque 5000 kilomètres, On le nomme en Chine Lancang Jian c’est à dire «eaux turbulentes», au Laos et en Thaïlande, Mae Nam Khong ou «mère des eaux », Ton le Thom «grandes eaux» au Cambodge, et enfin, Cuu Long «neuf dragons», au Vietnam, là où en un gigantesque delta, il se partage en neuf bras pour rencontrer la mer de Chine.

MÔNG PHU

Un village du delta du fleuve rouge (Viêt-nam)
Édité par Nguyen Tung

Marguerite Duras, à nouveau, décrit le fleuve:

« Autour du bac, le fleuve, il est à ras bord, ses eaux en marche traversent les eaux stagnantes des rizières, elles ne se mélangent pas. Il a ramassé tout ce qu’il a rencontré depuis Tonlé Sap, la forêt cambodgienne. Il emmène tout ce qui vient, des paillotes, des forêts, des incendies éteints, des oiseaux morts, des chiens morts, des tigres,

des buffles, noyés, des hommes noyés, des leurres, des îles de jacinthes d’eau agglutinées, tout va vers le Pacifique, rien n’a le temps de couler, tout est emporté par la tempête profonde et vertigineuse du courant intérieur, tout reste en suspens à la surface du fleuve. »

Marguerite Duras, L’Amant.

Rien ne change sur le fleuve. Guidés par Fredo, partir de Can Tho, juste avant l’aurore pour rejoindre Phong Dien et son marché flottant où se vendent et s’achètent les fruits perdus du paradis, puis arpenter son marché terrestre où grouillent serpents, anguilles et rêvent les poissons volants. l’or du jour qui s’annonce, ourle la rive du fleuve  endormi. Descendre dans la barque et se laisser glisser dans la lumière .

Tout a été dit sur la magie du lieu, sur l’exploitation touristique, sur le peuple de l’eau, son ingéniosité, son  dur labeur quotidien, sur le passé douloureux de la guerre jusqu’au coeur du delta, tout a été raconté, l’histoire, les dragons, les moussons, les frêles et solides ponts de bambou

qui transforment en funambules les habitants des arroyos, le mystère du mouvement des eaux dans ces canaux fantasques, rythmé par les marées et l’alternance des saisons, quand le fleuve coule à l’envers comme s’il buvait sans retenue toute la mer de Chine et jusqu’au lac Tonlé Sap au Cambodge, où les maisons se juchent prudemment sur pilotis, quand le dragon gronde et déborde, inondant de limons fertiles, vergers et rizières infinies, quand la vie s’écoule presque semblable aujourd’hui, à celle d’hier dans les gestes immuables.

Tout a été dit, mais on voudrait le dire encore tant la conscience est grande de vivre un moment unique arraché au reste du temps et du monde. Semblable au canal des Pangalanes, à Madagascar, ce chemin d’eau qui borde la côte est, longeant l’océan indien, où rien ne  change vraiment des rituels ancestraux, le delta, avec son labyrinthe aquatique fait revivre pour longtemps encore, l’envoûtement des premiers matins du monde.

arroyo

Photos: Guy Serrière

Halloween: il était une fois Jack qui n’avait pas peur du diable…

Drôle de fête que celle d’Halloween où la lumière de drôles de lanternes réveillent les esprits facétieux ou maléfiques qui hantent nos pires cauchemars!

Le vieux conte irlandais de Jack à la lanterne, est, nous dit-on, à l’origine des pratiques parvenues jusqu’à nous et revivifiées par la récupération commerciale planétaire.

Jolie photo empruntée au blog de Thierry au Japon

Plutôt amusante, cette évocation japonaise pour une célébration d’origine celtique!

Mais qu’on ne s’y trompe pas, la célébration d’exorcisme est universelle.

En Birmanie, le culte des esprits (Nat), antérieur au bouddhisme, se manifeste au quotidien et lors de fêtes rituelles.

Nat ein (autel pour les nats) à Rangoon (2005)

En Chine, pour les grands pudus, » les fantômes sont avertis de la tenue d’un banquet par une lanterne accrochée à une hampe de bambou dressée à côté du temple. Il faut savoir en estimer la hauteur selon l’importance du festin proposé, car plus la hampe est haute, plus nombreux seront les esprits qui accoureront, et il ne faudrait pas les décevoir. Les habitants du voisinage en plantent parfois de petites devant leur maison pour mieux éclairer la route des revenants. Devant le temple on installe une longue table pour que chacun y dépose ses offrandes ».  texte emprunté à Wikipedia

Dans toute l’Asie du Sud Est, la fête des fantômes affamés, est l’occasion de repousser la peur d’être hanté par les esprits mécontents de leur sort.

En Amérique du sud, la relation aux esprits est peut-être plus qu’ailleurs, une affaire de proximité quotidienne, que la fête catholique du premier novembre dédiée aux morts, renforce encore: « Tôt le matin, les vivants viennent apporter aux morts ce qu’ils aimaient et des oeillets pour leur rappeler le parfum de la terre. On leur parle, on les appelle au son des guitares et des accordéons. Toute la nuit, des lanternes brûlent pour guider le retour des âmes. Les grandes portes qui recouvrent les tombes seront ouvertes, après une longue attente. Et fondue dans l’aube du matin, les âmes peuvent enfin établir le contact avec les mortels. Ce sont d’interminables discours relatant tous les menus événements de l’année », peut-on lire sur ce blog, dans un article consacré au Mexique.

A Madagascar, le proverbe dit « Les morts ne sont vraiment morts que lorsqu’on les a oubliés ». La fréquentation du défunt, de son esprit, au fil du temps, donne lieu à l’étrange cérémonie du fameux « retournement du mort, où les rituels festifs bruyants recouvrent  l’angoisse des vivants. (photo suivante empruntée ici et intitulée « Quand la mort se met à danser »)

Notre Jack à la lanterne, à nous, Occidentaux, éclairant la nuit des esprits irlandais partis explorer le Nouveau Monde, n’a rien à envier aux esprits errants de la terre entière. On raconte, qu’ayant défié le diable en lui imposant à plusieurs reprises la vision de la croix, il ne put, après sa mort, vivre l’éternité, ni au paradis (c’était un fieffé coquin et un ivrogne invétéré!), ni en enfer, où Lucifer ne tenait nullement à l’avoir pour hôte. Tout juste consentit-il, (peut-être pour ne pas l’avoir sans cesse à mendier devant sa porte), à lui jeter un tison tiré de sa fournaise pour qu’il puisse éclairer son chemin de ténèbres. Jack, dit-on, enfouit la braise au creux de la betterave qu’il était en train de manger, la protégeant des vents de l’au-delà et évitant de cette façon (probablement!) de se brûler les doigts.

Pour éclairer les nuits devenues trop longues, à l’entrée de nos saisons hivernales, la coutume perdura, au moment de célébrer les défunts et de lutter contre leurs esprits trop tourmentés.

En Amérique, les citrouilles attendaient leur tour! Nombreuses et faciles à évider, elles remplacèrent bientôt la rave originelle. Leurs bouches édentées et leurs yeux évidés luisent  plus largement dans la nuit noire. Et pendant ce temps, Jack, l’ivrogne qui n’avait pas peur du diable, continue, sans nous déranger, son errance éternelle.

Etymologie: L’étymologie du mot Halloween appartient strictement à la langue anglaise, sans aucun rapport avec le gaélique ou toute autre langue celtique. Son nom actuel est une altération de All Hallows Eve6, qui signifie littéralement « le soir de tous les saints », c’est-à-dire la veille de la fête chrétienne de la Toussaint (hallow est une forme archaïque du mot anglais holy qui signifie : saint, even est une forme usuelle qui a formé evening, le soir)7. L’orthographe Hallowe’en est encore parfois utilisé au Canada et au Royaume-Uni8, « e’en » étant la contraction de even, devenue « een ». (d’après Wikipedia)

Meurtre à Madagascar?

Il ne faut jamais déranger les esprits à Madagascar. Nombre de lieux ne doivent en aucun cas être foulés, sans qu’il soit besoin d’un panneau d’interdiction. Ailleurs on parlerait d’un espace tabou. Ici, il existe un mot: le fady.

Photo de la capitale Antananarivo empruntée ici

Lorsqu’un lieu est fady, nul ne s’y aventure. La rationalité occidentale expliquera le fait par sa dangerosité, une falaise trop escarpée, une colline trop éloignée du village, un champ abandonné pour sa terre trop aride, qu’importe pourtant la raison. L’endroit est fady. Et la raison importe peu. Interdit aux hommes qui se doivent d’en respecter l’usage.

Photo, côte ouest de Madagascar empruntée ici

Que se passerait-il  donc si le fady venait à être transgressé par un étranger au pays que les superstitions amusent et qu’il méprise? Allez savoir! Peut-être rien, tant l’ignorance du vazaha est immense.  Mais il ne faut tout de même pas trop parier sur l’indulgence. L’indulgence de qui? Des esprits, sans doute, qui hantent le lieu et se voient dérangés? De la population peut-être qui cherche à se protéger de ces esprits errants? Allez savoir, oui!

photo empruntée à l’article du Point

Rouler en quad sonore sur la plage interdite,

n’est-ce pas réveiller sans ménagement ni égards, la mémoire endormie? Et la vengeance ne sera-t-elle pas terrible, attirant tous les voyous et bandits en mal de rançons ou autres exactions (pour la logique occidentale, bien sûr)? Tous les fins limiers de France ou de Madagascar pourront ainsi identifier le meurtrier du couple de Tuléar. Mais quelle Fred Vargas  sera à la hauteur de l’événement pour le transcrire et en révéler le véritable auteur ?