C’est la rentrée (suite):La peur du tableau noir… de Camara Laye

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« J’ai fréquenté très tôt l’école. Je commençai par aller à l’école coranique, puis, un peu plus tard, j’entrai à l’école française. J’ignorais alors tout du fait que j’allais y demeurer des années et des années, et sûrement ma mère l’ignorait autant que moi, car, l’eût-elle deviné, elle m’eût gardé près d’elle; mais peut-être déjà mon père le savait-il…

Aussitôt après le repas du matin, ma soeur et moi prenions le chemin de l’école, nos cahiers et nos livres enfermés dans un cartable de raphia.

…l’idée de dissipation ne nous effleurait même pas; c’est aussi que nous cherchions à attirer le moins possible l’attention du maître: nous vivions dans la crainte perpétuelle d’être envoyés au tableau.

Ce tableau noir était notre cauchemar: son miroir sombre en reflétait que trop exactement notre savoir; et ce savoir souvent était mince, et quand bien même il ne l’était pas, il demeurait fragile; un rien l’effarouchait. Or, si nous voulions ne pas être gratifiés d’une solide volée de coups de bâton, il s’agissait, la craie à la main, de payer comptant. C’est que le plus petit détail ici prenait son importance: le facheux tableau simplifiait tout; et il suffisait en vérité, dans les lettres que nous tracions, d’un jambage qui ne fût pas à la hauteur des autres, pour que nous fussions invités, soit à prendre, le dimanche, une leçon supplémentaire, soit à faire visite au maîre, durant la récréation, dans une classe qu’on appelait la classe enfantine, pour y recevoir sur le derrière une correction toujours mémorable. »

Extrait de « L’enfant noir  » (1953) de Camara Layecamara_laye-2.1189000040.jpg

Camara Laye , écrivain guinéen d’expression française est né le 1°janvier 1928 à Kouroussa, un village de Haute-Guinée. Il est mort le 4 février 1980 à Dakar. N’hésitez pas à vous rendre sur le blog d’Alain Mabanckou , le préfacier de cette édition, Prix Renaudot 2006 pour son livre « Mémoires de porc-épic ». (Seuil)

Illustration: aquarelle d’Ibrahima Barry , jeune peintre de Guinée, né dans le Massif du Fouta Djallon . J’ai raconté son histoire ainsi que celle d’Issiaga Bah dans « Indigo ou l’histoire extraordinaire de deux peintres du Fouta Djallon ».

Il s’agit d’un essai sur l’origine du talent des artistes guinéens coupés du monde. Leur expérience de l’école est encore celle de Camara Laye, leur aîné. En voyageant avec eux, jusqu’à Labé au coeur de la couleur bleue, j’ai recueilli leurs témoignages discrets et encore marqués par la chape de plomb du régime de Sékou Touré. Hélas, je n’ai pas encore trouvé d’éditeur pour rendre hommage au parcours initiatique de ces artistes…d’exception.

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L’oeil du régime de Sékou Touré, aquarelle d’Issiaga Bah, réalisée pendant le voyage à Labé avec les deux peintres.

 

4 commentaires sur “C’est la rentrée (suite):La peur du tableau noir… de Camara Laye

  1. Le tableau est superbe et nous ramène bien à la peur devant l’écran noir de Laye.
    (purée ! Quand on passe chez Chantal, on a encore plus de livres à lire, mais jusqu’où ‘arrêtera-t-elle ?)
    Kiki

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